LA PAROLE EN FAMILLE

Aix-en-Provence. 28 mars 2007

11 présents

* Dans la parole en famille, il y a beaucoup de choses en jeu. J'ai une sœur très volubile avec mes parents, alors que malgré ma réputation de bavard, je suis plutôt secret et renfermé. J'ai des relations différentes avec mes parents, des problèmes de communication avec mon père ; si je ne suis pas d'accord sur un sujet, je reste diplomate, si je suis d'accord, ça s'arrête là. Avec ma mère, et des amis de Manosque, je suis comme une éponge, à écouter, des sujets tels que la spiritualité, la deuxième guerre mondiale, le socialisme laïc, son enfance. Je ne me suis jamais vraiment exprimé. Quand ma mère a souffert d'une méningite, on n'en parlait pas. Je leur en aurais voulu si ça avait mal tourné. On ne doit pas me protéger en ne disant pas les choses. Je n'arriverai jamais à dire « m… » à mon père.

* J'étais en pension en 6e-5e, ma meilleure amie était fille d'agriculteurs et j'étais invitée à leurs fêtes de famille, chez leurs amis. Quand on revenait de chez quelqu'un, les parents commentaient, échangeaient devant nous, alors que mes parents, grands bourgeois, ne l'ont jamais fait. Je pense qu'il ne faut pas désespérer de ses enfants. Pour ma fille, nous parlions de tout, sauf de ses amours, contrairement à mon fils qui était dans l'opposition et le secret. Depuis qu'il a réussi sa 1è année de médecine, il a changé. Il m'a téléphoné un jour, pour demander à me voir et il est resté 3/4 d'heure  pour tout me dire, qu'il avait renoué avec sa chérie...

Finalement, les efforts ont payé, c'était super, ça faisait 18 ans que j'attendais ça!

Ma fille a toujours été passionnée par les histoires de la Bible et mon fils trouvait cela ridicule dès 4 ans, je garde espoir que ça change.

*  Mes parents étaient des commerçants occupés et nous étions cinq enfants. Ils avaient peu de temps à nous consacrer; on parlait de tout, sans se dire de choses.

J'ai été pensionnaire à partir de 11ans, je n'ai pas eu d'échanges approfondis. Pourtant, mon grand-père s'occupait de moi avec tendresse, me faisait réciter leçons et poésies; il me parlait à travers les gestes du vécu ensemble.

Nous avons reproduit le même modèle, nous savons écouter, mais nous ne provoquons pas la confidence, ça nous met mal à l'aise. Pour les enfants, l'un dit tout même ce que je ne veux pas savoir, le dernier ne dit pas grand-chose, bien que nous ayons des relations proches. Pour une question d'héritage, nous avons eu des discussions musclées, tendues, violentes, mais vraies. J'ai expliqué à mon petit-fils qu'on se dispute parfois avec ceux qu'on aime, mais qu'on se réconcilie et que les choses sont dites sans coup en douce.

* Dans la rue, j'ai croisé une dame d'un âge certain, au décolleté déplacé, en même temps qu'un monsieur que je ne connaissais pas. Il m'a fait des confidences sur des choses essentielles jusqu'à ce que nos routes se séparent. En revanche, dans la famille, il y a des pudeurs, des secrets, des sujets tabous. Par exemple, j'ai appris en lisant le livret de famille, que mon père s'était marié une première fois avec une femme qui est décédée  de la tuberculose un an après. Quand, à 13 ans, mes parents m'ont demandé si j'avais besoin de leurs lumières, concernant le sexe, j'ai refusé. Plusieurs années après, je suis allé consulter un médecin pour savoir comment fonctionnait une femme. Dire des choses en famille, c'est souvent créer des problèmes sans les résoudre.

* Chez moi, mes enfants pouvaient tout me dire, tout me demander. J'ai toujours répondu simplement, et ils ont toujours parlé, et je leur ai toujours dit ce que je pensais. Mon grand garçon m'a ainsi demandé d'aller lui acheter des capotes anglaises "solides". Dans ma famille, j'ai appris beaucoup de choses d'une tante de 95 ans, que maman avait été conçue hors mariage...
En revanche, mon mari était très silencieux et les enfants préféraient me parler.

À 18 ans, il y a eu un face-à-face parents/fille. Elle a eu l'impression d'être lâchée trop brutalement, parce qu'on lui a dit qu'elle pouvait faire ce qu'elle voulait.

Je pense qu'on peut tout expliquer, tout se dire, et qu'on peut tout entendre.

* Quand j'étais ado, je suis allé passer quelque temps chez une amie. Ce qui m'a marqué, c'est qu'après le repas, on allait dans une pièce avec une cheminée et qu'il se créait une espèce de silence, de communauté, de partage. Ce n'était pas le cas dans ma famille, on parlait du quotidien, il n'y avait pas d'espace d'écoute. Chez nous, avec mes enfants ados, c'est important de communiquer, mais on n'arrive pas à parler pendant les repas. Les enfants sont souvent interrompus.

Il y a un problème de manque si on n'écoute pas les enfants au-delà du purement quotidien.

* Quand j'étais gamin, la parole avait peu d'importance. On parlait d'échanges concrets, de boulot. La tendresse était le fait de gestes ou d'attentions à l'autre. Sauf pour mon père, quand une occasion se présentait pour donner une leçon de vie.

À 14 ans, je n'avais pas de sous, et j'étais avec mon copain Emile devant la vitrine du boulanger. C'était la première fois qu'on voyait des glaces et il m'en a achetée une. En rentrant, j'ai filé à ma tirelire pour lui rendre l'argent. Mon père m'a dit: "quelle urgence? On n'emprunte jamais; emprunter, c'est se pendre". Quand on a eu des enfants, j'ai eu deux principes, profiter de l'occasion pour faire passer un message et ne jamais mentir, ce qui ne veut pas dire: tout dire. Quand mon fils a été à l'hôpital, il a toujours eu confiance en moi. Le dernier avait reçu une ardoise magique, dont il était ravi. Un jour, en colère, il l'a jeté. J'ai pris l'objet et j'ai terminé de le casser. En couple, j'essaye de ne pas contredire mon épouse  devant les gosses.

J'ai 3 enfants actuellement, le dernier est "taiseux", il me surprend, parle peu, mais il n'y a pas d'incompréhension. C'est le contraire avec le second, c'est l'affrontement verbal et l'incompréhension. L'aîné est entre les deux; j'ai l'impression d'une crainte vis-à-vis du père éducateur que je suis. Il avait arrêté de fumer et a repris au bout de 7ans.

Je lui ai dit ce que j'en pensais.

Pour mon épouse, ça dépend, elle a mauvais caractère. C'EST MÊME PAS VRAI D'ABORD...

* Je n'ai jamais eu de grands parents, mais je suis devenu grand-père et j'ai du mal à assumer avec mon petit-fils.

Mon père était vieux et ne m'a jamais parlé de son passé. En revanche, ma mère m'a fait des excès de confidences, d'émotions sur tous les sujets, même les relations père/mère. Dans mon couple, c'est différent, il n'y a pas de tabou, mais de la retenue. J'approche de la retraite et j'éprouve des difficultés à aborder des questions nouvelles de manière sereine. Cela me surprend, mais c'est sûrement de mon fait.

Le père ne parle pas, sauf du vécu. Que faire après ? Ça va avec les enfants, mon gars de 30 ans ne me fait pas de confidences, ma fille un tout petit peu.

J'ai des idées structurées sur la vie, carcan idéologique. Je n'arrive pas à en sortir.

* La parole me paraît très pédagogique. Chez nous, les repas sont très longs, pour faire passer un maximum de choses. Mais c'est une perte d'énergie. La parole est mon médium privilégié. Je crois savoir écouter, mais le résultat est pitoyable, j'ai l'impression qu'il n'en reste pas grand-chose. Mes enfants piochent ce qu'ils ont envie de piocher. Avec ma fille, nous avons beaucoup de discussions, sans que ce soit des confidences, de tas de choses, témoins de l'âme.

Avec mon fils, on ne se comprend pas trop, il y a des idées en filigrane, mais la compréhension, c'est différent. C'est une incompréhension étonnante.

Avec mon épouse, on fait beaucoup de choses ensemble, on parle aux repas qui n'en finissent pas, on se fait plaisir. Pourquoi? Je ne sais pas.

Chez mes parents, c'était la fuite. Il y a eu des relations terribles à l'adolescence.

J'ai découvert la famille à quatre, le fait de se retrouver est un luxe formidable.

On croit bien faire, mais j'ai surestimé le repas autour de moi, l'expérience se fait ailleurs. Il y a des variétés éducatives et familiales très importantes, les régimes à l'africaine, les familles éclatées.

* Un copain m'a dit à mon mariage que j'avais besoin, quand je venais dans sa famille, de 45 minutes pour m'arrêter de friser l'hystérie permanente.

Je pense que je reproduis le schéma que j'ai subi, et dont j'ai souffert.

Un jour en CE2, je suis revenue de l'école avec un 19,5 en dictée ; ma mère m'a demandé pourquoi je n'avais pas eu 20, au lieu de me féliciter. J'étais à l'époque chez mes grands-parents maternels.

Je me revois dire la même chose à ma fille aînée au même âge. Maintenant, je prends sur moi pour encourager la benjamine si elle a eu un 12/20, mais ça n'est pas naturel pour moi.

Chez les grands-parents maternels, c'était la loi du secret. On ne parlait pas de la deuxième  guerre mondiale, contrairement à l'autre côté de la famille.

Pour les ados, c'est bien chez les autres. C'est urticant pour  moi en ce moment. La dernière de nos filles a inauguré le "chat-chiottes", c'est une ardoise dans les toilettes où l'on écrit ce qui nous passe par la tête. Cela passe mieux qu'aux repas.

* J'ai un frère qui a 10 ans de plus que moi, qui est marié et a une petite fille.

À l'occasion d'un dîner chez ma mère, je me suis aperçu que nous ne nous connaissions pas. Il a cessé de parler avec mes parents à l'adolescence et reparle depuis son mariage.

Avec ma mère, on parle, mais on ne s'est jamais rien dit.

Je me suis rendu compte très tard qu'on pouvait avoir plusieurs grands-parents (je croyais n'avoir qu'une grand-mère)

Mon père m'a toujours dit des mensonges ou des promesses qu'il ne tenait pas. Du coup, je leur mens, c'est normal, naturel, ce n'est pas un mal.

J'ai appris qu'il avait divorcé d'avec ma mère, qu'il avait une vie qui m'était totalement inconnue, qu'il a une fille.

Je me suis rendu compte qu'il n'y avait jamais de repas familial, je mangeais à part, quand j'avais faim.

Je ne suis pas malheureux, j'éprouve une sorte de vide.

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