DOIT-ON TOUT DIRE ?  LE SECRET

Aix-en-Provence. 11 décembre 2006

16 présents.

Témoignage professionnel : une patiente atteinte d’une tumeur cérébrale meurt.

J’ai longtemps accompagné cette patiente, sa sœur et les parents que j’avais aussi comme patients. À la suite de ce décès, forte déstabilisation de la sœur et de son copain qui ont également des problèmes de boulot. Les parents n’aident pas et ne semblent pas s’occuper de leur seconde fille et de son copain. Un jour, lors d’une consultation des parents, je me permets de dire aux parents que leur fille et son copain ont des difficultés. Un mois plus tard, lors d’une nouvelle consultation, les parents prennent la parole et me disent : « on n’a pas supporté ce que vous nous avez dit lors de la dernière consultation. Aussi, on vous demande de transférer notre dossier chez un autre médecin »

Cela m’a fait beaucoup réfléchir et m’a fait reprendre de la distance avec les clients.

Je considère que le problème de la communication entre les êtres est un vrai problème.

Pour moi, c’est le parler vrai qui est important, même si cela n’est pas facile.

En fonction de l’interlocuteur, trouver les bons mots. Souvent, on ne se comprend pas. Question d’éducation, de signification des mots. Parfois, j’aimerais pouvoir trouver une écoute, pouvoir tout dire, parler de mes angoisses, de mes doutes. Mais on est seul.

C’est à nous seuls à trouver les solutions. Aller au fond des choses sur le plan très personnel avec des amis, même des parents, on se heurte très vite à la gêne de son interlocuteur. Le regard devient fuyant. Parler de son ressenti n’est pas facile. Exemple : à la question : ça va ?  Qui va en profondeur ? Pourquoi poser certaines questions si l’autre n’est pas prêt à échanger ou à écouter ? On ne peut pas tout dire. Trouver les bons mots au bon moment. Ne pas blesser. Secret ? On en a tous.  Et on ne peut pas tout dire. Pour ne pas blesser l’autre. Tout dernièrement, j’ai mis de l’ordre dans les papiers de famille et ceux de mon père en particulier. Papa a eu un passé militaire glorieux, mais étant resté très discret, peu de nous, les enfants et petits-enfants connaissaient son parcours.  J’ai fait des copies pour mon frère et ma sœur  pour garder en mémoire de famille tous ces documents importants. Certaines parties concernant le passé de mon père, la première partie de sa vie en particulier, étant plus intimes, j’ai décidé de faire des sélections et de ne pas les copier. Maman m’a remercié pour cette discrétion.  Elle préfère répondre directement aux questions de ses petits-enfants plutôt que ceux-ci aient l’information à partir d’une lecture d’un Cdrom.

Expérience également professionnelle. Jeune infirmière, je suis aussi intervenue.

On m’a répondu que je n’étais pas de la famille et que je n’avais rien à dire. Ne pas tout dire. Mieux vaut se taire. Mais avec sa propre famille, il faut parler. Même si c’est brutal.

Le silence peut aussi être riche.

Tout dire : Toute vérité n’étant pas bonne à dire, je ne dois pas tout dire.

Question de respect : de la liberté de l’autre … ne pas le choquer, de la capacité à recevoir : stress, chagrin, de sa capacité à comprendre. Vis-à-vis de mes enfants, j’avais décidé de ne jamais leur mentir …sauf par omission ; Cela m’a beaucoup servi, surtout vis-à-vis de Vincent. Secret : Facile pour moi quand je ne suis pas en cause : Secret professionnel, secret défense. Difficile si cela me concerne personnellement. Par exemple, tromper ma femme sans lui dire, cela serait impossible !

C’est très difficile de cacher quelque chose. Mon oncle de 90 ans a une fille qui  a eu un cancer de la tyroïde. Il sent ce qu’on ne lui dit pas. Des silences sont plus expressifs que des paroles. J’ai une tante qui s’est suicidée quand j’avais 4 ans et demi. J’ai appris petit à petit l’histoire, barbituriques, échec, récidive… Ses enfants, des jumeaux et une fille de 7 ans n’ont pas su la vérité. Ils parlent d’accident.  Ma cousine a été élevée par une autre tante. Il y avait un décalage important entre ce que savait ma cousine et ce que je savais moi. Un jour, je le lui ai dit brutalement. Elle a mis des années à s’en remettre.

Secrets de famille. J’ai appris un secret intime concernant ma tante. J’ai su également que mon neveu s’était suicidé. Je ne voulais pas en parler. Je l’ai dit à ma fille il y a un an ou deux. Pas question de détailler, mais cela m’a fait du bien d’en parler. Je ne l’ai pas  encore dit à mon fils. C’est plus difficile à dire.  Je n’arrive pas à trouver les mots pour lui dire. Mais  quand je lui ai parlé du suicide de mon neveu, mon fils a avoué l’avoir toujours deviné. C’est très difficile et même horrible de porter seuls les secrets. Le mystère n’est pas forcément bon. Si on arrive à pouvoir en parler, on n’est plus seul. On peut en reparler plus librement, ce n’est plus un non dit.

Sexualité : Parmi  15 ou 20 enfants, les statistiques montrent qu’un est homosexuel.

Cela peut donc vous concerner. Cacher aux parents, à ceux que l’on aime le plus. Doit-on le dire ? Je n’ai pas pu le dire à ma mère. Cela m’a pourri l’existence. On sait aussi qu’il y a 4 fois plus de suicides chez les homosexuels. - Secret professionnel : Le médecin doit dire la vérité si on la supporte. - Secret de l’adultère : Ne pas dire. Mutatis, mutandis. En avouant, on transfère son problème sur l’autre (remords) et on le fait souffrir. C’est plutôt celui qui a fauté qui doit souffrir.

Le secret : je sais être une tombe. Exemple : le fils d’amis de Manosque était impliqué dans un trafic d’armes. C’était une situation très embarrassante. Fallait-il en parler aux parents ? Situation trop difficile à gérer, trop lourde à porter. J’en ai finalement parlé aux parents. Ai-je eu raison ? Secret de famille : épouvantable. Sur des choses concernant ma famille, mon père en particulier, je sens que l’on me cache quelque chose. Je veux savoir si mon père est vraiment malade et non être protégé par un quelconque secret. J’aimerais savoir le vrai. Sur le plan médical, j’aimerais connaître la vérité. Si mon IRM n’est pas bon, j’aimerais le savoir pour profiter du temps qui me reste. Parler de tout : oui.

C’est un bonheur énorme de trouver quelqu’un à qui parler de tout. Absence de jugement, de mépris. Je crois être quelqu’un à qui on peut tout dire.

J’associe la notion de secret à la durée, au temporel.

Les secrets à partager, à conserver, renforcent les relations privilégiées et permettent de construire un lien solide. Secret de famille : jusqu’à mon lit de mort.

Aujourd’hui on fait signer des papiers pour faire concrétiser l’acte d’informer ou d’être informé.

Faut-il dire ou ne pas dire ? À travers les choses qu’on a dites sur moi, les messages ont été souvent inaudibles. Puis le temps a fait que j’ai pu comprendre et changer mon comportement. Je n’en veux pas au gens maladroits. Je suis de l’autre côté du miroir.

Secrets professionnels : Je les garde pour moi. Sur le plan professionnel, j’ai un problème avec un collaborateur. Je pense qu’il a de grandes qualités mais qu’il est à côté de la plaque. Je ne savais comment lui parler. Puis j’ai pu parler et il a compris ce qu’on voulait lui dire. Il fallait rapidement faire passer l’information. Je lui ai finalement rendu service

Professionnellement : actuellement, dans notre entreprise, il y a une campagne sur la transparence, courage de tout dire. Même si c’est une bonne idée, on trompe son monde.

En fonction de son interlocuteur, le langage et l’information donnée seront différents.

On n’a pas forcément tout à savoir. J’ai un copain qui a été en dépression. Je l’ai aidé en parlant avec lui. Maintenant il semble sorti d’affaire, mais me reparle encore très souvent de ses problèmes. Comment lui faire comprendre que je voudrais qu’il arrête de me parler de son problème ? Est-ce que je vais le blesser ? Situation pas facile. Pas de secret de famille. Plutôt confiant. Le reste, c’est notre intimité

Beaucoup de choses peuvent être dites mais pas n’importe quoi, pas n’importe quand, pas avec n’importe qui. Je pensais avoir une famille exemplaire. En fait, ce n’était pas le cas. Je suis reconnaissante à ma famille de m’avoir préservée.

Je n’ai pas besoin de savoir. Ce n’est pas mon problème. Dernièrement, j’ai retrouvé des lettres de mon père hospitalisé. J’ai éprouvé beaucoup de joie à retrouver ces lettres. L’une d’elles était très personnelle et très émouvante. Je n’en ai pas parlé à mes frères et sœurs. Cela peut réveiller des rancœurs, des rivalités. Cela est mon secret.

Mon mari avait un cancer du rein et pendant les 4 dernières années, il voulait être le plus fort et vaincre cette maladie. C’est moi qui battrai ce cancer, disait-il. Dans notre village, il se comportait normalement dans la vie de tous les jours et voulait cacher sa maladie. Peu d’amis connaissaient la vérité. Et puis, au fur et à mesure, la vérité fut lourde à porter. Même douloureuse. On en parlait tout le temps. Par la suite, le médecin a reconnu avoir été pris au piège par la personne qui semblait forte devant la vérité.

Dernièrement, lors d’une mission au Canada, il y a eu un clash avec un collègue.

En croisant ce collègue je lui ai demandé si tout allait bien. Il m’a répondu violemment en me disant : j’en ai assez de toi et de ton autorité. Je n’ai pas compris et ai été très peinée.

Je n’aurais rien du dire. Pour ma fille qui vient d’accoucher, je suis émue et ravie, bien entendu. Je trouve ma fille fragile et pense qu’il faut que je m’en occupe. Mais comment ne pas empiéter. Pour le travail, il faut tout dire. Faire circuler et faire partager les informations. Mais ce n’est pas aussi simple. Nous avons des étudiants qui vont en Ecosse. Cela représente un gros budget. Les frais de scolarité sont entièrement pris en charge par les Ecossais. Nous en profitons bien entendu et nous sommes ravis de ce cadeau. Mais nous n’ébruitons pas cet important avantage de peur de le perdre. Comme quoi ?

On va dire la vérité. Mais qu’est ce que la vérité ? C’est elle qui bloque. Relativité de certaines vérités. Physique quantique, histoire… Par ailleurs, on peut tromper avec beaucoup de sincérité. Secret de famille : nous en avons plein dans notre famille.

Pas d’influence sur moi. Par rapport au patient, je n’ai jamais eu de secret. C’est une question de temps pour lui dire : 5 minutes, 2 mois.

Secret médical : Prendre en compte l’intérêt du malade. La médecine est un art, pas une vérité scientifique. En ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, il y a eu une évolution dans la manière de dire le diagnostic. La notion de secret médical est très relative. Il y a des familles avec lesquelles il faut être très prudent. Associer les parents ou non ?

Secret de couple : Certains patients viennent même me demander l’autorisation de dire à leur conjoint qu’ils l’ont trompé. J’ai un neveu qui a des troubles d’humeur depuis de longues années. Depuis un mois il accepte de suivre un traitement. Nous en parlons. Je lui explique que ce n’est pas de sa faute : ses 2 grands-mères ont eu les mêmes troubles et la même fragilité. Le fait d’en parler lui a fait du bien et lui a permis de suivre ce traitement. Des documents concernant le père de mon père nous ont appris que son petit frère avait été gazé, puis recueilli malade par les Allemands parce que schizophrène.

Il est mort à 18 ans en Allemagne. J’en ai parlé à mes frères et sœurs avec  appréhension. Ils n’ont pas été plus choqués que cela.

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