TOURNAY

AVENIR ET DEVENIR

QU'EST-CE QUI DONNE DU SENS ET DE L'ESPÉRANCE ?

PAR QUELS COMPORTEMENTS SUIS-JE ACTEUR DE CET AVENIR ?

Abbaye de Tournay. 25-26 mars 2006.

15 participants, 3 excusés.

Ont participé à la rencontre cinq Toulousains, quatre Basques, deux Minervois, un Quercinois, et le frère Alain-Pierre de l’abbaye. Deux personnes participaient pour la première fois. Trois personnes étaient absentes pour raison de santé ou de famille.

Après un bref tour de table de présentation, le frère Alain-Pierre nous parle du Père Marie de la Chapelle, qui a accompagné le groupe pendant près de dix ans, et qui est rentré du Brésil, où il a passé dix ans, atteint de la maladie d’Alzheimer, et fortement diminué.

Mon avenir personnel

Quand on voit cette maladie d’Alzheimer, ça fait peur. J’aurais très peur d’être dépendante, à charge. Les années passent ; on se pose des questions qu’on ne se posait pas avant.

Il y a des tas de choses, dans notre monde, qui n’attirent pas vers l’optimisme. Ça me sape le moral.

Pour moi, dans l’espace-temps, l’avenir c’est dix à quinze ans de bon.

L’avenir, c’est comme un chemin ; tu marches sur le chemin ; tu marches sur la terre, et tu portes le ciel sur ta tête. Il faut accepter cette condition pour trouver le bonheur. Le bonheur n’est pas au bout du chemin : il est avec toi sur le chemin.

En réfléchissant à l’avenir, je me suis surpris à ne penser qu’à l’avenir des enfants, des jeunes, comme si la question ne se posait plus pour moi. En basque, on dit : « Nik ere obenena gihilean dut » (toi aussi, tu as le meilleur derrière toi). Ça m’a bousculé. L’avenir ne serait-il que pour les autres ?

Au fur et à mesure que les engagements s’arrêtent ou se transforment, je serais tenté de dire : « place aux jeunes ». Ce ne serait pas bon de démissionner… C’est une question de tous les jours, qui me bouscule dans ma façon d’être, d’agir (ou de ne pas agir) au quotidien.

L’avenir de la planète

Aujourd’hui, on est de plus en plus nombreux, tout va de plus en plus vite, et on ne peut pas ignorer ce qui se passe ailleurs. L’outil des télécommunications est extrêmement précieux pour l’avenir et le devenir de l’humanité. Ça oblige à la prise de conscience.

L’œcuménisme (au sens le plus large de toute l’humanité) me semble un signe très positif. Partout où des gens sont persuadés de détenir la vérité, ça mène à des intégrismes épouvantables. Je porte un très grand espoir dans l’œcuménisme au sens global. Ça impose d’essayer de comprendre celui qui est en face. Dès lors qu’on ne se sent pas détenteur de la vérité, on entre dans une démarche d’écoute. Si l’œcuménisme est assez fort, l’intégrisme disparaîtra. Solidarité plus écoute, là est l’avenir.

Comprendre, c’est faire sien ce que l’on voit, le pénétrer, le laisser résonner en soi. Vivre debout, comprendre et aimer les autres, ça me paraît pas mal comme programme.

Notre société occidentale d’enfants gâtés sera bien obligée un jour de prendre en compte que si on voulait que tous les hommes vivent comme nous, il faudrait cinq ou six terres…

Il y aura forcément du rééquilibrage (richesses Nord-Sud – ressources naturelles sur-utilisées)

On a un cadencement de vie imposé par la technologie, alors que notre horloge interne n’est pas faite pour ça. Je pense que c’est pour ça que les gens sont paumés. Dans mon travail, je suis en contact avec beaucoup d’entreprises de toute la gamme. Comment dialoguer ? Les données sont devenues extrêmement complexes. Ça fait des gens qui ont peur de tout. On est dans un véhicule, la nuit est noire et profonde, et on est toujours en codes ; on ne peut pas mettre les phares ; si un lapin traverse la route, c’est la catastrophe.

On est en train d’user les piles de la planète à toute vitesse. Les politiques, on les élit pour trois ou cinq ans, et ils passent leur temps à prévoir leur réélection. Le changement climatique va tout transformer. On a un mur très dur devant nous, et on est toujours en codes…

Problème du changement climatique : en 1975, on commençait à en prendre conscience ; en 2005, on commence à en parler et à se faire du souci. On met à mal notre beau jardin, la planète terre.

Je suis orphelin de l’Europe. Je suis très malheureux que ça ne passe pas en France.

Notre avenir dépend des politiques en termes d’urbanisation. J’admire beaucoup les maires qui font un gros boulot.

Notre planète a déjà subi des bouleversements climatiques. Maintenant, on met ça sur le dos de l’homme. Tant qu’on vivra dans un monde économique capitaliste, on fera avancer certaines choses au détriment d’autres, pour le bénéfice de quelques-uns. Il y aura toujours des riches et des pauvres.

Jeunes et éducation

Je suis sûre qu’aujourd’hui il y a des jeunes debout, qui réagissent, qui n’ont pas envie d’être manipulés. Ils prennent la vie à bras le corps. Il y a de la relève. Ça me met du baume au cœur de les voir agir et réagir.

Auprès de nos jeunes, il faut essayer d’en faire des personnes responsables, capables d’avoir leur propre opinion, et non de suivre le discours de tout le monde.

On a besoin d’adultes responsables.

Si on peut donner un peu à nos jeunes le goût de se prendre en charge et d’être responsables, on n’aura pas tout perdu.

L’avenir passe par ce qu’on va pouvoir inculquer à nos enfants.

Comment vais-je aider mon fils à se mettre debout, à penser sereinement, à prendre des décisions justes ?

Enseignement et médias

Dans les médias, et même à l’école, tout est fait pour fabriquer des moutons ; l’école n’éduque pas à l’autonomie ; dans les programmes scolaires, beaucoup de choses se sont mises en place pour empêcher les jeunes de penser par eux-mêmes… et ceci au service des forces de l’argent… qui semble ne servir à personne et tourne en rond.

Je trouve qu’on passe trop de temps à écouter des informations. On est plus désinformés qu’informés. On est manipulés. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? Qu’est-ce qu’il faut croire ? Parmi les gens qui crient leur désespoir, très peu sont authentiques, sincères.

Je suis cuisinier dans un établissement scolaire. Après avoir vu « le cauchemar de Darwin », j’essaie de ne pas commander de perches du Nil, qui affament des populations entières. Maintenant, ma femme me dit que c’est faux. Je ne sais plus faire confiance aux médias qui sont sensés m’informer. Plus le monde avance, plus je suis déstabilisé.

Michel Serres dit : « Il y a le réel et il y a l’image. Et l’on sait que l’image qui se vend bien, c’est l’image de la mort, c’est le désespoir, la terreur, la pitié. Pour moi c’est une immense régression… (Il nous faut) regarder la réalité, faire la différence entre l’image terrifiante qu’on sait très bien vendre et la réalité qui est quand même tout autre… Dans un monde désenchanté, le carême nous fait méditer sur la mort, une mort qui finit par la résurrection. Ne réduisons pas le réel à la mort. »

On est très marqués par une image très négative, alors que le réel n’est pas si négatif.

Tradition (transmission)

On a relevé nos manches quand c’était l’heure. D’autres les relèvent aujourd’hui. Ça continuera.

Si on parle d’avenir, il faut s’ancrer dans notre passé, notre présent, notre avenir. Le passé et l’avenir, c’est comme la météo : il y a du bon et du moins bon. Il y en a toujours eu, il y en aura toujours. Est-ce que je retiendrai le ciel bleu, ou les cyclones ? Personnellement, je suis optimiste : je garde le ciel bleu. Peut-être que je n’ai pas assez eu de cyclones ?

 

nous

nos descendants

nos ancêtres

la société

nos amis, nos relations

   
 


Je regarde la famille. Je vois la vie comme une croix :

Ce devenir est ce qu’on en fait.

L’avenir passe beaucoup par notre comportement.

L’avenir s’enracine dans le passé. Chaque personne a une histoire de vie précieuse et unique, qu’il faut écouter. Concrètement, nous devons accompagner nos enfants, nos petits-enfants, transmettre quelque chose. Je ne suis pas pessimiste.

Société

Je suis convaincue que notre société vit une fin de quelque chose de bon et de bien. Il n’est pas possible que ça s’arrête ainsi. La vie est difficile, mais pas impossible.

J’ai l’impression d’être à la fin de quelque chose qui va basculer, imploser ! Le vortex capitaliste devra bien imploser un jour. On en sent les prémices.

Nous sommes dans une société qui marche sur la tête, qui gaspille. Ça ne peut pas durer comme ça !

Notre société est dans une mutation profonde.

Je suis d’une génération où on a beaucoup vécu d’utopie (rêve libertaire de 1968, utopie marxiste, tiers-mondisme.) Ces utopies sont tombées. Le risque est de croire qu’on a tout loupé. Il faut lutter contre ce fatalisme. Il ne faut pas céder à la résignation.

Lâcher prise par rapport à nos schémas, accepter les choses nouvelles.

Pour la génération de nos parents, le projet était que les enfants aient une situation meilleure que celle de leurs parents. Notre constat actuel est que nos enfants n’auront pas un avenir aussi rose que le nôtre. Pour moi, c’est une révolution d’intégrer ce paramètre. Il est difficile d’entrer dans une logique où la course en avant n’est pas souhaitable. Ça a été vrai aussi dans l’Église. On vit une espèce de retournement : la perspective n’est plus. Comment vivre encore avec dynamique ?

Solidarité

L’expérience que j’ai me laisse pleine d’espoir. Il y a de la solidarité et une remise en question. On se pose de vraies questions pour le « vivre ensemble ».

Avec la communauté au service de laquelle nous sommes, nous sommes entrés dans l’économie de la solidarité. C’est un autre monde. Aujourd’hui, nous vivons avec ce qu’on nous donne et nous pouvons en redonner. Mon salaire est économisé.D’un côté, il y a le gaspillage, et, de l’autre, on peut contourner le système et partager. Cela me rend optimiste pour l’avenir.

Des côtés négatifs et inquiétants, il y en a beaucoup. Dans un sondage récent, 30 % des sondés exprimaient leur attirance pour l’extrême droite. Mais il y a aussi beaucoup de signes positifs : associations, solidarité, système des AMAP (producteur rémunéré par ses clients pour leur fournir le panier de la ménagère).

Nous avons reçu à la maison un banquier qui disait constater l’accroissement du nombre de très très riches et de très très pauvres. Il cherche à développer les placements « éthiques ».

Mon implication quotidienne, c’est d’être rentrée dans cette chaîne de solidarité où j’apprends à vivre avec bonheur ce que j’ai, ce que je reçois, et à le partager. Ça n’empêche pas d’avoir de « grands projets », mais ça permet de le vivre au quotidien. Je suis un être humain en marche au cœur de l’humanité. Je le vis de façon toute petite.

Proximité

Il y a aussi un autre volet, qui est notre environnement proche (famille, village, quartier…) On est faits pour être des êtres de relation, et, ça, je ne sens pas que ça se détériore tant que ça. Il y a quand même encore beaucoup de gens dans les associations, qui donnent de leur temps.

La famille évolue beaucoup. C’est à nous à être assez ouverts et disponibles pour accepter ces changements, même si on regrette que ce ne soit plus comme avant. Notre rôle est d’accepter les changements et d’être à l’écoute. Ce n’est pas facile. On y est d’autant plus sensibilisés que nos enfants entrent dans des vies de couple.

C’est une phase difficile, mais il n’y a pas de raison que ça s’arrête. Il faut rester confiants.

Il y a des individus autour de moi. J’essaie de ne pas les rater. L’avenir, c’est des gens qui seront bien avec eux-mêmes. Pour moi, l’important, c’est de développer la relation et la communication. Si on ne sait pas le faire à cette échelle, on ne peut envisager plus fort.C’est petit, mais c’est très important.

L’avenir, je le vois surtout au niveau de mes proches, parce que je pense que c’est là que j’ai le plus à faire et que je serai le plus utile. Après, ça dépend trop des intérêts individuels de ceux qui tirent les ficelles.

Je préfère me cantonner, et mettre mon énergie là où je sais qu’elle sert à quelque chose ; ça peut faire boule de neige. Au-delà, il y a un tel bordel ! Si, déjà, chacun agissait dans sa petite sphère… les petits ruisseaux font les grandes rivières. Si chacun était responsable de son chez soi, ça se sentirait.

L’important, c’est de vivre en solidarité avec ceux qui m’entourent, et de soutenir les amis.

Mon lieu d’évangélisation est là autour de nous, ceux que l’on invite à notre table, et aussi à nos enfants et petits-enfants. Je crois de plus en plus aux petites choses de proximité.

Religions

Mon problème pour l’avenir, c’est le problème des religions. Où va-t-on ? Il n’y a pas de communication. Chacun a sa vérité. Je remets beaucoup de choses en question. Je ne crois plus qu’à peu de chose. C’est une question pour l’avenir : quel sera le rôle des religions pour faire avancer les gens ? Aujourd’hui, je n’y vois qu’un outil de division. Qu’est-ce qui va faire que les gens avancent ensemble en s’écoutant ?

Signes d’espérance

En novembre, pendant l’explosion des banlieues, des Algériens faisaient des rondes toute la nuit pour garder le quartier.


La joie des jeunes, par exemple quand ils sont amoureux, est pour moi source d’espérance.

Au Viet Nam, les ouvriers travaillent à leur dignité. Des femmes vendues à l’étranger réussissent à créer des associations pour se défendre.

Repérer les germes de sens (côtés positifs de la mondialisation, travail des ONG, solidarité autour du tsunami,…)

L’humanité a toujours été tirée en avant par « demain un monde meilleur. » L’histoire montre qu’on s’est foutu le doigt dans l’œil très profondément, mais ça ne change rien au fait que l’homme continue à chercher un monde meilleur. C’est ancré profondément dans l’homme. Teilhard a très bien vu ça : l’humanité est en devenir permanent pour aboutir au point oméga. Ce besoin d’aller vers un mieux est une source d’espérance.

Autre signe d’espérance : pour que ça avance, il peut suffire de quelques % de bons, car les mauvais sont mal organisés. En général, ce sont de petites minorités qui ont fait évoluer les choses.

Confiance

Je suis très impressionné par tous les divorces autour de moi, et ces gens sont malheureux. Se marier, comme tous les engagements, c’est basé sur la confiance. Si on vit sans confiance, on ne voit que du noir, et ça ne peut pas marcher.

Il n’y a pas d’avenir / devenir possible si on ne fait pas confiance (confiance en l’autre, confiance en soi-même). C’est capital. Exemple : le CPE. Le problème est qu’on ne fait pas confiance. Dans notre communauté, la plupart des crises viennent de problèmes de confiance. Fondamentalement, je fais confiance à l’homme.

Il n’y a pas de société si on ne se fait pas confiance. Deux choses me semblent essentielles : créer du lien et créer du sens. Pour moi, le sens, c’est le Christ, mais je ne l’impose pas. La recherche d’argent, ça ne suffit pas pour donner sens à une vie.

Je ne suis pas optimiste, je suis confiant.


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