En quoi ma mémoire m’aide à préparer l’avenir

Aix-en-Provence. 3 avril 2006

12 présents.

La mémoire ne m'aide pas, surtout pour les questions d'argent ; même quand une situation se répète, je me dis que j'aurais dû demander des devis...et je paye. Je ne sais pas comment elle peut m'aider.
Il faut faire attention à quelqu'un, quelque chose ou une situation, mais je ne peux me résoudre à me considérer dans la même situation Le souvenir est négatif, comme si l'expérience ne servait à rien.

Mis à part pour la technique, informatique, bricolage... qui sont des domaines où l'on apprend vite et où l'on ne recommence pas les mêmes erreurs, c'est différent pour les relations humaines. Par exemple en bagnole, je reste calme au premier rond-point, je chauffe au second, et j'explose au troisième...
Le mal de l'homme, c'est qu'il n'apprend pas, on n'a qu'à regarder l'Histoire de l'humanité.

Sur le plan affectif, ma mémoire ne me sert à rien. Si je suis effondré par un deuil, je le serai également au prochain. Je suis vierge à chaque fois.
La mémoire ne sert à rien du tout; c'est différent pour ceux qui n'ont plus de mémoire

Par exemple, à la fin d'un repas, je ne suis pas excité par la perspective du prochain repas, même plutôt réfractaire. Pour le désir physique, itou, je n'ai plus le souvenir de la fois précédente. La mémoire me sert comme échelle de valeurs, mais l'émotion domine.

Je prépare peu l'avenir, ni épargne temps ni épargne argent. Je n'ai pas vu mon père en retraite ; je pense qu'il faut profiter au jour le jour.

On arrive à la période des études supérieures des filles, moi j'avais un appart à Paris, je ne suis pas sûr de pouvoir leur offrir la même chose.

Le fait d'avoir cherché pendant près de 2 ans du boulot m'a fait changer de type de relations avec les autres, ça n'est plus 100 % boulot comme avant ? Je prends du temps pour voir des gens en dehors du boulot, mes priorités se sont inversées...et c'est ce qui m'a permis de retrouver du boulot !

Pour la santé, ma mère n'a jamais fait de sport, et elle le paye maintenant. Le fait de sentir qu'on peut tout perdre du jour au lendemain me pousse à ne pas m'attacher aux choses.

Dernier point, je tiens au savoir-faire, bricolage, jardinage, mécanique, par moi-même, et aux amis et à la famille.

La mémoire m'aide à envisager l'avenir. Je me rappelle des relations entre ma mère et sa belle-mère, j'espère ne pas reproduire cela, mais je m'y prépare.

Dans ma famille, les gens étaient très différents les uns des autres mais gardaient un certain lien. Je ne veux pas être dépendante en tous points de vue; j'aime coudre, cuisiner, jardiner, pouvoir compter sur mes propres ressources financières, contrairement à maman qui était angoissée de ne plus avoir assez pour vivre.

La santé se prépare, les amis, le sport, la nourriture ; je suis revenue d'Afrique avec des parasites dans le ventre, mais j'ai continué de courir malgré mes maux de ventre.

Si j'étais confrontée à une maladie grave, je ne sais pas comment je réagirais, ma mémoire ne m'aidera pas.

Pour mes futurs éventuels petits-enfants, je suis déchirée entre les attitudes opposées de mes grands-mères, l'une très distante, l'autre avec qui j'ai appris beaucoup par le partage et la transmission. Je voudrais les voir et en même temps je ne veux pas m'occuper d'eux à plein temps.

Ma mémoire m'a servi. À la maison, il n'y avait pas de moyens, nous habitions une toute petite structure, 2 pièces avec un lavoir. Je me suis juré de ne jamais manquer d'argent, de ne pas avoir faim, d'avoir une villa, et d'être indépendante sur le plan matériel, contrairement à maman qui n'avait pas de métier, de réussir mes études d'infirmière, malgré une santé toujours précaire (j'ai passé une épreuve avec un furoncle !). Mais peut-être ai-je négligé ceux qui n'avaient pas cette ambition. Maintenant que j'ai été « condamnée », j'ai changé, je refais la maison, j'achète des roses, je sais ce que c'est que ne pas attendre demain.

Ma mémoire me permet de mieux comprendre les autres ; avec mon "lâcher-prise", je n'ai plus de stress, je rentre en moi et je m'ouvre sur les autres. C'est le meilleur à vivre.

Ma mémoire me sert beaucoup, je me projette et rate le présent.

Quand je jardine, j'approche d'une branche et je ferme les yeux parce qu'à 20 ans, une branche de genêt m'a troué la cornée. Idem pour d'autres "programmes de défense", j'ai des réflexes de protection

Du côté professionnel, j'ai toujours été attaché aux valeurs de courage, franchise, honnêteté, transparence, mérite, justice, mais je m'aperçois, à chaque réorganisation, que tout ça passe à la trappe, et ça lasse d'avaler des couleuvres.

Idem pour la Politique ou l'Histoire, les hommes gardent toujours le même comportement et malgré l'expérience, ça pète.

Dans le boulot, mon poste a été divisé en trois, l'avantage est que je travaille moins, c'est mieux pour les deux autres, et j'accueille les nouveaux arrivants, comme je l'ai été lorsque j'en ai eu besoin.

Pour les jeunes d'aujourd'hui, je suis sensible à ce qu'ils peuvent ressentir. Quand je suis sorti de mon école d'ingénieur, la voie était tracée, il n'y avait pas de souci, pas de changement. Peut-être que je serais terrorisé comme les jeunes actuels, et c'est peut-être notre faute d'avoir légué un monde comme ça, que nous souhaitions pour nous sans nous soucier de la suite des événements.

Ma mémoire ne me prépare pas au futur ; il y a un sentiment de peur lié à la mémoire, on sait qu'on va réagir de telle manière à telle situation avec un individu donné.

Il y a un type au boulot qui me cherche systématiquement des noises. Il faudrait que j'apprenne à le contourner ou l'ignorer, mais je ne maîtrise pas mon caractère.

Je ne me projette pas, je fais confiance à l'intuition, sans calculer.

J'ai du mal à me projeter ; ça ne m'angoisse pas. Je sens que le meilleur est derrière nous et que la vieillesse sera quelque chose de difficile à vivre, mais la vie vaut encore d'être vécue ; la vie est une page blanche à écrire et le présent me suffit. En même temps, je suis comme ça par ce que j'ai la mémoire familiale, je refais les recettes de mes grands-mères quand je reçois mon frère.

La mémoire joue toujours un rôle au présent de ce qu'on a vécu, par exemple le fait d'avoir perdu un enfant fait que je ne veux pas voir la mort, un ami est en train de mourir, mais je ne regarde pas ce qui va arriver. Ma foi m'aide à vivre, à faire confiance.

Je me projette sur l'avenir ; la mémoire du passé est essentielle si on tient compte du résultat pour "refaire" ou non. La mort d'un enfant m'a appris à ne jamais râler contre le coût d'une assurance, et ne jamais mentir à un enfant, simplement lui dire ce qu'il est capable d'entendre.

Sur le plan professionnel, en cas d'incident, je cherche le pourquoi en amont pour que cela ne se reproduise pas.

J'ai fait partie, jeune, d'un syndicat, mais je suis parti quand j'ai vu qu'ils défendaient plus leur nombril qu'autre chose. J'ai dit stop, je veux rester critique et agir, je ne veux pas obéir à un piquet de grève.

Je n'ai plus confiance en les hommes politiques, quand j'ai vu en 68 un homme critiquer vertement la constitution et en profiter des années plus tard pendant 14 ans, quand, pendant les "trente glorieuses", la CGT publiait des chiffres démontrant que les revenus diminuaient, tout ça m'a rendu méfiant, je cherche des sources d'information différentes, avec la conscience que je peux me tromper.

J'ai un peu l'angoisse parce que la mémoire me fuit un peu en ce moment...mais ce n'est pas si pénible que ça.

J'ai été influencé par ce qui s'était passé au XXe siècle. Je reconnais que je me suis trompé sur des analyses historiques, mais ça ne me pose pas trop de problème. Je me méfie des idées trop bien huilées entre elles pour ne pas tomber dans un "système". Je lis René Gérard en ce moment, et je me sens plus sage que je n'étais avant...avec moins d'idées.

Avec le Liban, la Shoah, la première et la seconde guerre mondiale, je pense que la mémoire individuelle rejoint la mémoire affective.

 

Je me souviens de mon premier Noël vers 18 mois, avec une image de quelqu'un qui m'offre mon nounours dans une boîte oblongue transparente.

En CP chez les Maristes, quasi seule fille, je me revois en train de faire des tests pour sauter en CE2, de calcul, un vrai cauchemar, je n'arrivais pas à justifier mes résultats, justes pourtant, depuis phobie pour tout ce qui comporte un chiffre, même un numéro de téléphone. Mon papi a été mobilisé en sept 39, jusqu'en décembre 41, il ne m'a jamais parlé négativement des "Allemands".

Concernant la mémoire collective, je pense que de Gaulle a eu une grande influence en promouvant des films tels que "la grande vadrouille" en 1966, pour réhabiliter une période de guerre pas forcément glorieuse pour le citoyen lambda.

En Histoire, en France, on dénigre nos racines avant la Révolution, et c'est dangereux de pourrir nos racines.

Ma mémoire m'aide à préparer l'avenir, quand j'ai découvert l'Ordre de Malte dimanche dernier, quand j'apprends le sens ou l'étymologie d'un mot.

Ce que j'ai appris de plus ou moins bête, en fait, c'est pour former ma mémoire (contrairement à ma fille qui a subi la méthode globale et qui a des problèmes de mémorisation).

Je vis le présent, comme dans la Bible. Contrairement à toutes les autres religions de l'époque, le Dieu des Hébreux est le Dieu des vivants, pas des morts, et la religion se vit dans le quotidien. Inutile de me projeter dans 25 ans.

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