est-on libre ou conditionné ?

Aix-en-Provence. 12 janvier 2004

17 participants

§        Nous avons la chance de vivre dans un pays de liberté. Ce n’était pas le cas de la Chine en 92. Ayant séjourné dans un lotissement réservé aux étrangers et très surveillés, j’ai constaté qu’une interprète qui avait sympathisé avec nous, a ensuite été "virée". Le conditionnement nous vient d'abord de l'éducation; il est comme les prémices d'un raisonnement mathématique ; il faut ensuite vérifier par l'expérience. Dans les périodes de fragilité psychologique, il peut être dangereux (à la suite d'un déménagement, quand on se trouve isolé dans une ville nouvelle).

§        Je me sens à la fois conditionné et libre.

Conditionné par ma famille d'origine, ma région natale, l'enseignement, le métier… et ma femme. Libre parce que j'accepte les contraintes imposées par l'existence des autres : lieu de vie, habitat, engagement social; ma foi chrétienne me libère des angoisses métaphysiques.

§        Je suis comme tout un chacun, conditionnée par l'entourage. Coupé du milieu familial, on peut être la proie d'un autre conditionnement, moins bénéfique. C'est ce que j'ai vécu dans mon expérience de professeur dans un lycée français, mais je me suis ensuite libéré de ce conditionnement par la réflexion. La liberté, ça s'apprend et ça se conquiert.

§        Je suis d'une famille où mon avenir était tout tracé : je devais devenir médecin… et suis plongeur sous-marin. On peut donc se libérer du conditionnement et même quand on vient du quart-monde. (Cas que j'ai connu à la cité universitaire de Louvain). Le conditionnement génétique ou social est inévitable, mais de temps en temps s'offre la possibilité de s'en libérer en partie, et il faut la découvrir par sa curiosité et la saisir. La marge de manœuvre semble toutefois bien mince. La vraie liberté serait-elle dans l'absence d'éducation ? Je ne pense pas : cette absence deviendrait elle-même un carcan.

§        Je m'efforce de ne pas me laisser conditionner, mais c'est une illusion. L'hérédité est une réalité. On est gouverné par des choses qu'on ne comprend pas forcément. Je crois avoir été influencé par le fait que mon père était orphelin et par le conflit avec ma sœur.

§        Mon métier m'amène à aider les gens pour qu'ils échappent à un conditionnement auquel ils croient (et qui n'est pas forcément réel). Enfant, je ne résistais pas à la tentation d'aller trop haut en me balançant (pour regarder chez le voisin) ou de marcher dans les flaques d'eau. Entre conditionnement et liberté se trouve la voie médiane : on ne peut être libre qu'après prise de conscience de son conditionnement. Après une journée chargée, je me sens libre si j'ai obéi au conditionnement que je me suis moi-même imposé.

§        En mai 68, j'ai pris part au courant libertaire, en contradiction avec les valeurs politiques de ma famille. Mais c'était une fausse liberté : tout le monde pensait pareil, quand chacun pensait se libérer. Et on s'aperçoit maintenant que les "révolutionnaires" sont embourgeoisés.

§        C'est facile et confortable de se laisser aller au conditionnement, et je n'ai pas envie d'y résister. Mais je conseille à mes patients de développer leur esprit critique. Le conditionnement change avec l'âge. A 7 ans, papa est un héros; à 14 ans, c'est un con. Je me demande si, en me suicidant, je ne redeviendrais pas un héros pour mon fils, qui se sentirait investi du devoir de me venger ! On est conditionné par le confort, par la religion… Le libre-arbitre est très limité.

§        Je suis conditionnée, mais je m'en moque. Pensionnaire chez les bonnes sœurs, je faisais semblant d'obéir, mais je faisais ce que je voulais le week-end. Je faisais de la résistance passive, convaincue qu'il ne sert à rien de regimber. Je n'ai pas honte de l'héritage reçu : ma foi, j'en ai hérité, mais je l'ai aussi choisie, à l'aide de rencontres. "Deviens ce que tu es" dit St Augustin. La foi me pousse à sortir du déterminisme, pour être quelqu'un d'autre, qui est moi.

§        J'ai l'impression de dominer le déterminisme et d'être libre, au moment des grandes décisions. Si on trouve bonne la décision, on la croit libre. C'est une illusion agréable.

§        Il faut être conscient de ce qui nous fait agir. Mais cette prise de conscience ne suffit pas, il faut que le cœur y soit. Comprendre comment on fonctionne est une étape vers la liberté. La cinquantaine arrivant, je suis affrontée à une contrariété sur le plan professionnel, qui m'a amenée à un retour sur moi-même et les valeurs de réussites transmises par la société. Je cherche à être authentique, à ne plus jouer un rôle.

§        On naît dans une gangue, et la vie en permanence nous conditionne. Il faut mieux se connaître pour agir dans un cadre de liberté. La nécessité de gagner de l'argent est un conditionnement majeur (et la perspective des grèves n'arrange pas les choses). On est conditionné par le corps (fatigue, hormones…). Le corps nous asservit et l'esprit nous libère ? J'ai pris la décision de ne commencer à travailler qu'à partir de 0 h, et m'en trouve fort bien, pourtant j'ai aussi l'impression d'être libre de penser, et non d'agir.

§        Né dans une famille modeste, j'ai toujours voulu être infirmière, résistant en cela au conditionnement parental. Ce métier m'a rendue heureuse. J'ai choisi de me marier, d'adopter deux enfants, et de vivre seule par amour. Je pense que constamment on a la liberté de faire le bien ou le mal.

§        Le conditionnement est inconscient ; je résiste à la pression sociale qui pousse à être informé tous les jours, et ne suis l'actualité que de loin. Je pense avoir la liberté d'action, mais pas d'expression.

§        En voyage scolaire en URSS, j'ai découvert ce qu'était un pays non libre. Mais c'est une illusion de croire que la Révolution Française a instauré la liberté. On n'était pas libre sous la terreur quoi qu'en disent les manuels scolaires…

§        Ce "sujet du bac" invite les étudiants à réfléchir sur leur conditionnement, alors qu'ils se croient libres. Il est certain qu'on peut prouver que nous sommes conditionnés toujours (ne serait-ce que "a contrario") même quand nous nous croyons libres. Que deviendrait un "enfant sauvage" élevé avec des loups ? Conditionnement et civilisation sont indissociables. Le petit garçon est conditionné à devenir "viril" : layette bleue, soldat de plomb (maintenant par vidéo), on ne pleure pas quand on a mal….. Le conditionnement sexuel est terrible pour les adolescents et peut les amener au suicide s'il n'est pas conforme à leurs goûts intimes. Même notre notion de l'amour-passion est, d'après Denis de Rougemont, spéciale à l'occident et issue du Moyen-Âge (Tristan et Yseult). Mais découvrir l'ampleur du conditionnement ne doit pas conduire à la résignation. La lucidité doit nous permettre de choisir entre conditionnement négatif et conditionnement positif.