VIVRE ENSEMBLE - LA VIOLENCE - LA MORALE

ET LÀ-DEDANS, MA VIOLENCE - MES REPÈRES

(Landévenec 20 janvier 2002)

Étaient présents 7 femmes et 3 hommes.

J'ai tendance à répondre à la violence verbale. J'essaie un travail sur moi pour diminuer cette agressivité aussitôt regrettée. Cette violence intérieure vient de la difficulté à accepter mon statut social. Encore aujourd'hui, j'entends dire que la célibataire n'a pas de statut social. Lorsqu'on s'accepte soi-même on n'a plus peur du regard des autres. j'ai encore du travail à faire pour me pacifier et aussi pour mieux vivre l'accompagnement de ma mère dans sa maladie d'Alhzeimer. Même si cela va mieux, j'ai encore du mal à rester calme.

Dans la vie de tous les jours, je remarque l'impatience des gens au volant, leur violence : coups de klaxon, insultes...

Je suis très préoccupée par la situation en Israël (y ayant séjourné plus d'un an), chaque acte violent appelle chez l'opposant encore plus de violence...

Ce qui m'apaise : l'amitié, le groupe est pour moi une force, une espérance qui m'aide à me pacifier pour continuer la route malgré une montée de la violence dans le domaine public, le comportement social, les manifestations qui dégénèrent, la montée de la délinquance.

Violences dans les cités et incivilités chez les jeunes, oui mais, plus près de nous il existe un non-respect d'un code social, le code de la route. La transgression de ses règles entraîne d'incessantes incivilités : le même homme qui me salue profondément et me tient la porte pour me laisser passer (à pieds !), grille allégrement et sans vergogne la priorité lorsqu'il conduit. C'est une source de violences physiques et morales : accidents, deuils, handicaps.

La définition de « morale » dans le dictionnaire c'est : « science du bien et du mal » ; alors elle devrait être de tous les temps et de tous les lieux : universelle. Pourtant les règles varient selon les sociétés. Ce que ma mère jugeait immoral (« filles-mères » par exemple) ne me choque plus aujourd'hui où les femmes peuvent choisir librement ‑ en France ‑ d'être mère célibataire pendant que dans un pays musulman la charria les condamne à la mort par lapidation.

Il y a 50 ans en France, on coupait la tête d'une « avorteuse ». Aujourd'hui bien qu'il soit légal, l'avortement me choque encore dans certaines circonstances (pour convenances personnelles par exemple) mais sera peut-être tout à fait moral pour ma fille et ma petite fille...

Les commandements de Dieu n'ont pas prévu la contraception, la fécondation in vitro, le don d'organes, la trans-sexualité... Alors, est ce que je peux décider seule, en mon âme et conscience, de ce qui est bien ou mal ? Ou dois-je faire miennes les règles édictées par un comité d'éthique qui seront différentes des règles appliquées chez mon voisin, américain ou irakien ? pourquoi une morale serait-elle meilleure qu'une autre ? et qu'est-ce que la morale s'il y a des morales ?

La violence ne naît pas seulement d'un sentiment d'inégalité ou d'exclusion : certaines personnes incarnent la violence. Je vois le cas d'un enfant de 2 ans, bien portant, qui porte cette violence dans les yeux et qui cherche à faire mal, à vous pincer, à griffer, à donner des coups de pieds mais qui sait déjà se protéger des reproches des parents par ses cris.

La violence peut être verbale (de la phrase assassine, aux insultes et jusqu'à la diffamation: voir l'art de nos politiciens ... ) ou écrite (tags, presse, lettres anonymes).

Elle peut être physique : maltraitance des enfants, des personnes âgées, brutalités entre sportifs, incestes, viols, gangs agressifs où la police paie un lourd tribut, escalade de la violence entre palestiniens et israéliens.

Il y a aussi la violence intellectuelle (endoctrinement, sectes).

J'ai trouvé des lectures éclairantes dans « L'homme, Dieu ou le sens de la vie » de Luc Ferry, des écrits d'Emmanuel Mounier, de Paul Ricoeur avec son espérance :

« Aussi radical que soit le mal, il n'est pas aussi profond que la bonté. Quel que soit le mal commis, il y a en tout homme une parcelle de bonté à délivrer. La religion n'est pas là pour condamner, c'est une Parole qui dit : Tu vaux mieux que tes actes. »

« Etre chrétien, c'est croire en la réponse que Dieu donne en J.C. à cette interrogation humaine. C'est pouvoir donner un deuxième sens beaucoup plus profond à ce qui a déjà un sens (amitié, amour, culture, musique ... ) »

« Les seules forces capables de restructurer l'homme et la société sont la fraternité et l'amour » (Xavier Emmanuelli).

Ce qui me fait violence, c'est la procédure de divorce. C'est très douloureux ; l'avocat reprend tous les reproches ; la vie du couple est mise sur la table. La non-violence me vient de la pastorale familiale : quand une porte se ferme, une autre s'ouvre. Nous sommes une dizaine de personnes en dialogue, c'est primordial dans la recherche de sens.

Ce qui fait violence au plan professionnel : le travail sur différents territoires, difficile dans l'équipe. La déprime au travail existe et le harcèlement ; le sentiment d'être prises pour des gamines génère de la violence entre collègues, déstabilise, dévalorise. L'antidote : essayer d'être solidaire, de trouver sa place dans l'équipe pour continuer à vivre.

Cela m'irrite de voir 2 ou 3 prêtres pour certaines messes alors qu'il n'y en a pas pour garder une messe du samedi soir pour les « vieux ».

Agressée aussi par les images répétées du 11 septembre ; ce qu'on ne domine pas, les peurs rendent agressif.

« La morale », je n'aime pas, ça fait penser à des règles de vie. Même si on a besoin de cadre, J.C. est venu vivre une relation qui sort du cadre.

La violence est générée par le fait d'être mal aimé, le ras-le-bol, la jalousie, l'envie de s'approprier ce qu'ont les autres.

Dommage que beaucoup de valeurs de notre enfance disparaissent. L'enfant savait jusqu'où il pouvait aller. Il y avait des interdits. La pensée écrite au tableau, chaque matin en primaire, pouvait être un repère.

Dans le cadre du KT, les commandements donnaient une ligne nette pour les chrétiens. Gandhi a marqué son époque par la non-violence.

Souvent « en boule » aux infos : pendant 20 mn, la violence dans tous les domaines est étalée. Pour un taux d'audience, les médias forcent la dose.

Le développement de la fabrication des armes est une source dont on n'est pas à la veille de voir la fin (finances obligent !).

La violence doit-elle répondre à la violence pour faire reculer l'injustice ? Coup de chapeau à certains objecteurs de conscience. Le dialogue arrive toujours trop tard, en plein conflit, souvent devenu violent.

Etre différencié par l'autre provoque chez moi la colère. On est original dans tous les domaines.

J'utilise la violence verbale comme une source de défense. L'enfer ce n'est pas les autres, c'est de ne pas accepter que les autres soient « autre ». J'essaie de comprendre et de chercher, par l'amour et la solidarité.

Les enfants victimes de la violence des adultes, c'est insupportable. Pourquoi pas la Justice pour diminuer la violence ?

« Vivre ensemble » c'est chercher une voie, un but, discerner ce qui rend heureux.

Parfois cela peut relever de l'héroïsme ! Si tout le monde est impliqué dans l'interdépendance bon gré, mal gré, tout le monde n'a pas le même sens social et même si des richesses habitent chacun, il y a quand même des gens plus faciles à vivre que d'autres... Il y a des natures égotiques qui mènent à la violence.

« C'est la spiritualité qui fait qu'une personne s'humanise », disait un participant à une autre rencontre. Il faut vouloir la paix et se perdre un peu de vue pour rendre la vie ensemble possible.

La différence, la variété des individus, contribuent à la richesse de la société. Mais quand une différence devient pouvoir de domination, vise à uniformiser pour mieux posséder, assouvir, détruire, alors non !

Une morale pour tous à la base, pour apprendre les repères, les limites dans un esprit de respect de l'autre est un premier stade indispensable. Même si cela ne va pas loin dans la transformation de la personne, c'est incontournable pour lui donner ses chances de devenir ce qu'elle peut être. On en arrive pour certains à une privation totale de morale (ce que je dois faire) et bien sûr d'éthique, de sens. Des petits ados ne voyaient pas de mal à violer une copine Les médias étalent ‑trop de choses et tirent vers le bas.

La violence est aussi au cœur de l'homme, toujours prêt à dominer et à assouvir ses désirs. C'est le péché originel que de n'avoir pas voulu ressembler à Dieu (amour, relation, humilité, miséricorde). Quels dieux invente t-on pour faire, comme le dit Jean‑Claude Larchet, que « les différences deviennent des inégalités, puis des oppositions et finalement des divisions ».

La difficulté de vivre ensemble c'est de se respecter mutuellement en acceptant une certaine distance : il y a des degrés dans l'amitié, on n'a pas la même intimité avec tout le monde. La joie de « vivre ensemble est un bouquet japonais beau mais subtil. Il ne s'agit pas seulement de se convertir à l'amour, il faut aussi une certaine intelligence sans laquelle l'amour est constamment blessé ou étouffé. Cette intelligence se manifeste dans l'art de communiquer »

C'est l'inspiration d'A. Sève à laquelle je souscris.

Des jeunes ont perdu le sens des valeurs. La pensée au tableau noir et la leçon de morale prédisposaient à un comportement réglé par rapport à ce qui se passe maintenant. La démission des parents et le contexte aboutissent à une expression par la violence pour obtenir ce qu'ils souhaitent.

Pour certaines populations c'est le seul moyen d'être reconnu ; est-ce juste pour modifier les choses ? Les médias présentent des actes violents, notamment la télé. Est-ce normal c'est un peu risqué. D'un autre côté, l'information peut favoriser des moyens d'agir, mais pas une information ressassée pendant 4 ou 5 jours !

En voiture la violence existe, c'est une tendance répandue en France. Face aux incivilités pratiquées sur la route (non-respect du code de la route) j'essaie de tempérer ma violence en me disant : « c'est aussi un fils de Dieu » mais cela s'oublie. La violence est opposée à la tolérance et la tolérance m'est difficile quand les gens ne pensent pas comme moi : je ne fais pas l'effort de comprendre pourquoi ils ne sont pas d'accord. Je fais plutôt des efforts pour trouver des arguments pour convaincre.

Dans les médias, les nouvelles positives consistent surtout en victoire de la France dans un sport.

On a eu des repères. Comment les enfants peuvent réagir sans repères ? Si on laisse passer, n'est-on pas source de violence ?

On « s'engueule » souvent mais ce n'est pas un obstacle à l'amour. C'est suivi de : « je n'aurais pas dû dire cela ».

C'est difficile d'accepter que l'autre soit différent sauf s'il est loin : cela me rend violent de voir qu'une personne afghane a moins d'importance qu'un citoyen américain.

Au Proche-Orient, la violence inquiète.

Dans ma vie, il y a eu 2 étapes par rapport à la violence. Dans la première il s'agissait de réagir à la violence extérieure à moi et dans la deuxième de relever mes manches et de gérer ma propre violence.

En tant qu'éducatrice, seule le soir avec 15 ados, personne ne pouvait m'entendre. Le ton a monté quand l'un a refusé quelque chose (une incivilité quelconque). Le gamin m'a envoyée « ch… » et voilà 15 gamins en opposition. J'avais 2 solutions, soit je cède à ma peur, soit je lâche prise. Je me suis retrouvée en quelques minutes n'ayant plus peur du tout, dans une très grande tranquillité intérieure. « Vous pouvez me tuer et après ... qu'est-ce que vous faîtes ? pour moi ce sera fini mais vous vous retrouverez avec votre situation à régler... alors on s'assoit ». On a échangé. Un gamin a jeté par la fenêtre tout ce qu'il a trouvé. Il y avait un seuil à passer. Après j'en faisais ce que je voulais. Ça a été une expérience fondatrice.

Une autre fois, plus tard, avec femme et enfants victimes de violences, il m'a fallu entendre un récit d'1/4 d'heure effarant à faire dresser les cheveux sur la tête. Dans un premier temps il y a un travail de résonance. Cela montait, mais j'étais dans l'écoute. Je n'ai fait que faire un travail sur moi-même pour être en état de non-violence (ne pas faire écho à sa propre violence). Juste quelques mots pour refléter cette femme « cela ne doit pas être facile »... Je n'ai jamais entendu quelqu'un me dire autant de choses. Il ne fallait pas apporter mes angoisses en réponse aux siennes. Travailler sur sa propre violence c'est se mettre en question. Ne pas se laisser contaminer, ne pas ajouter à la violence qui existe.

La violence est une caricature de l'agressivité. Les parents doivent entendre quand des besoins fondamentaux, primaires ne sont pas satisfaits chez le tout petit. Quand on n'a pas un minimum de reconnaissance nécessaire à la construction de soi, un territoire, un espace d'expression, d'effet miroir, de gens autour, l'agressivité normale de survie se transforme en violence.

La violence crée une appartenance et provoque une force de survie décuplée (la vie est un processus et non un résultat).