ÉDUCATION ET SPIRITUALITÉ

 

(Grenoble 23 janvier 2002)

D. : La dimension spirituelle est un résultat indirect de l’éducation et de l’enseignement. Dans mon enfance et mon adolescence j’ai le sentiment d’avoir développé mon “affectivité”, mais ce n’était pas encore de la spiritualité, même dans le domaine religieux. Le tournant me semble situé à la puberté et la déstabilisation affective qui en est résultée. Ma spiritualité s’est alors développée avec la recherche de sens, d’équilibre, de références. Le moteur de la spiritualité est dans la recherche personnelle plus que dans l’éducation ou l’enseignement.

Dans tout mon itinéraire spirituel, je me suis toujours référé à la question de Jésus : “pour toi, qui suis-je ?” Et cette question m’a bien été transmise par l’enseignement. Les philosophes et les “penseurs” m’ont beaucoup appris ; mais c’est de moi-même que j’ai été à leur recherche, et je ne me suis attaché qu’à ceux qui trouvaient une résonance en moi.

Je ne suis pas inquiet d’un éventuel vide spirituel du monde contemporain, fortement sollicité par les questions d’ordre éthique. Mais j’aimerais que le questionnement de Jésus reste au cœur de la recherche, car les réponses de l’Évangile sont très riches.

M. : Je dois beaucoup à l’acquis de mon éducation familiale et à l’école. Je ne suis pas adepte des récollections ou des pèlerinages. Ma foi personnelle a surtout été façonnée par ma participation à des mouvements, et par des rencontres fortes qui m’ont aidées à me positionner.

L. : Le catéchisme, “petit livre de demandes et de réponses qui éclairent le contenu de la foi”, a été le moule d’une tradition à laquelle j’ai adhéré sans problème jusqu’à vingt ans. C’est Monique, les MCC et diverses rencontres qui m’ont ensuite conduit à prendre du recul vis-à-vis des obligations de la tradition. Mon évolution spirituelle a trouvé sa source dans l’ouverture aux autres.

M.C. : Je me suis posé des questions dès l’époque du catéchisme sur la relation entre la liberté et Dieu qui “sait tout”, même l’avenir. Mais c’est surtout à l’École Normale, dans le groupe animé par le Père Daniélou que j’ai progressé dans ma connaissance de l’Écriture et que j’ai été conduite à poser le choix personnel de ma vie chrétienne. J’ai continué à me former l’esprit par des lectures et les rencontres au MCC, au CTM, au CCFD etc...

P. : Issu d’une famille chrétienne, je me suis rapidement positionné comme opposant à la tradition imposée. L’école publique où la pratique catholique est minoritaire, m’a ouvert à l’esprit de liberté.

J’ai récemment été frappé par une demande des étudiants de l’INPG de l’ouverture d’un “bureau des humanités” pour une formation d’ordre sociologique, économique et spirituelle au sein de l’École, afin d’être informés avant de s’engager dans des mouvements spécifiques comme le CCU ou la participation au CTM.

M. : L’esprit nous distingue de l’animal, nous ouvre à une prise de conscience et à des horizons de connaissance via la science. Au lycée, on est éduqué à des prises de responsabilités, et appelés à la tolérance, au respect de l’autre. Le rôle des religions est important, mais recèle un risque de fermeture dogmatique. La richesse spirituelle peut alors être grevée par un manque d’ouverture. J’ai été frappé du rôle positif de l’anticléricalisme pour permettre des avancées sociales telles que la place de la femme.

Le moteur chrétien est l’Évangile, mais je souffre de l’intransigeance dogmatique du Catholicisme. Le “pouvoir” spirituel bloque l’ouverture et peut démolir des vies.

V.H. : Ma formation traditionnelle s’est moulée dans le catéchisme qui n’ouvre pas à la réflexion, mais à l’obéissance. Ma spiritualité s’est épanouie dans la mouvance de Vatican II, pendant ma vie étudiante au Vietnam. Mes liens avec les Petites Sœurs de Marseille ont converti ma religion de peur du péché, en religion de libération ouverte sur la vie des quartiers.

L’éducation que mes filles ont suivie leur a apporté une ouverture d’esprit basée sur l’analyse et l’esprit critique.

C.F. : Le rôle de l’Éducation Nationale est de développer l’esprit critique, l’information, le raisonnement, le jugement. La spiritualité est située au-delà des grandes valeurs laïques. L’esprit critique s’attaque aux pratiques religieuses. Ma foi présente est née après ce déblayage, après un temps qui m’a permis de m’approprier ma propre foi. Le sens de l’éternité, par exemple, est venu de la nécessité de garder vivantes les relations tissées avec les autres. Des rencontres m’ont aidé à trouver le sens des rites. J’aime aussi nourrir ma formation complémentaire par des lectures et des conférences du CTM. J’ai le sentiment de pouvoir communiquer cette foi à mes enfants par la force du témoignage.

C.B. (texte transmis et lu par Philippe)

Aux écoles primaires des Buttes et des Charmes où ont été mes enfants, l’éducation était tournée :

- vers l’appréhension de l’environnement immédiat : affiches, recettes de cuisine etc.

- ou basée sur des projets : festival des enfants, classes autogérées, festival du cinéma, journaux d’école,

- ou sur la prise en compte du quotidien des pays dont les enfants étaient originaires.

Par contre, pas de poésie, pas de cours d’histoire ou de géographie. Seuls les contes ouvraient sur un imaginaire. Ayant dit mon regret pour la poésie, on m’a répondu que c’était une nostalgie de “bourgeoise”.

Le professeur de français de Vaucanson en F3 a fait découvrir à JB la beauté du Français. Mais aucun cours de philo n’a passionné mes quatre enfants, ni les a ouverts à de vraies questions existentielles.

Personnellement, le mot “spirituel” me mettait mal à l’aise : soit il se réfère au monde des idées, de la culture, de l’humanisme ; soit à une dimension transcendantale, voir à une religion.

Le cours d’exégèse m’a aidé. Dans le monde sémitique il y a, d’une part, l’homme avec tout ce qu’il est de chair et d’âme (le psychisme), on parle du souffle qui sort de l’homme. Les deux sont mortels. D’autre part, il y a le souffle qui vient de Dieu et qui est extérieur à l’homme : il lui permet d’être en relation avec Dieu et de se recevoir de lui. Cet Esprit là est immortel.

Nos enfants ont suivi des cours de catéchèse familiale, l’aumônerie, le scoutisme. Maintenant, c’est leur histoire.

L’Éducation Nationale, par la loi de séparation de 1905, refuse toute main mise des Églises et ne privilégie aucun culte. La laïcité permet de définir un espace public où chacun est reconnu et la liberté de conscience respectée. Mais cette loi n’était pas antireligieuse. Le rôle de l’École est d’éduquer à la liberté de pensée. Le fait-elle ? Aide-t-elle les jeunes à l’exercice critique tant envers les religions que vers la pub, les média, le politique, l’économique ? Je ne le crois pas.

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