A-T-ON LE DEVOIR D'ETRE HEUREUX ?

 

(Aix en Provence 25 février 2002)

 

Il faut souligner le terme “ devoir ” (Les Droits du Citoyen, on connaît, ses Devoirs moins !). Distinguons le plaisir du bonheur (mais il est difficile d’avoir du bonheur sans plaisir).

Les femmes, je crois, sont plus douées pour le bonheur que les hommes. Elles s’extériorisent.

Pour mes amis asiatiques, notre situation de ce soir les étonnerait, ils penseraient avec raison “ ils ont tout pour être heureux ”. Sans doute se gâche-t-on la vie. Nous sommes égoïstes.

Pour moi ce n’est pas la grande forme. Ce matin, malgré le lever du soleil, les amandiers en fleurs, je ne pouvais être heureux (un ami malade mental).

Si on souffre, on ne peut pas être heureux, quand on a des inquiétudes pour ses parents, ses enfants, des gens qu’on aime, c’est difficile d’être heureux. Le bonheur est peut-être impossible ? Pour les croyants, on serait récompensé après la mort. Mais pour les athées, il y a un devoir d’être heureux. Si on est des corps non souffrants, que les proches vont bien, qu’on a donné la dîme, il faut donc faire un effort ! Se dire : je suis à chaque instant à la veille d’un malheur… et le lendemain, penser “ comme j’étais heureux hier ”.

Nous gâchons ce bonheur qui nous est donné. L’épicurisme est un exercice difficile, mais il faut apprécier chaque jour ce qui est bon.

Mon père à sa retraite a été très malheureux, car l’idée qu’il se faisait de son devoir était excessive (il s’est occupé de sa mère, puis de sa femme malade de Parkinson). Tous ces soins qu’il faisait lui coûtaient. Une fois seul, il culpabilisait de ne pas continuer ! On a eu de grosses discussions : pour nous, il se devait d’essayer de profiter de la vie. On n’a jamais réussi à le convaincre d’être heureux, il avait l’impression que c’était une faute par rapport aux malheurs qui l’entouraient. C’était sa façon d’être chrétien, peut-être ?

Ma belle-mère, artiste, est sublime. Elle vieillit bien, elle donne beaucoup, elle a certes une vie matérielle facile, mais elle est pour moi un modèle. Quand on est jeune, on agit au jour le jour. Je suis inquiète pour les jeunes à l’avenir pas évident. Pour moi, la vie peut être belle, la santé est le premier des cadeaux. Maintenant que j’ai le temps, je m’occupe plus de mon corps (culture physique pour le retrouver). Je profite de la nature, j’aime ma maison. Si l’on vit plus longtemps on peut accompagner les enfants. Cette époque a de bons cotés comme l’informatique qui est une porte ouverte sur le monde. Je préfère vivre maintenant qu’à l’époque de ma jeunesse, j’aimerais voyager et garder la forme.

On a le devoir d’être heureux. Autour de nous, on a conscience de ce qui se passe. Quand on me pose la question “ ça va ”, je ne peux répondre autrement que par oui. On fait partie des gens qui ont de la chance. Le bonheur, ce sont des moments successifs. J’ai une nature optimiste, je refuse d’être envahi par le malheur qui nous entoure. Les autres nous regardent. On ou Dieu, nous a donné la vie, c’est un grand bonheur. J’ai eu plus de hauts que de bas, j’ai eu de la chance, certes, mais on n’a pas le droit de se dire malheureux.

Cette phrase m’ennuie, c’est comme de la pub. Je peux me situer par rapport aux autres, mais je ne me sens pas obligé d’être heureux. Tout dépend du bon repas, de mes enfants, de la santé de mes proches, c’est incontrôlable. Certains même dans des situations difficiles, gardent cette capacité d’être heureux. C’est une émotion.

Jusqu’à l’âge de 16 ans, ma culture chrétienne me culpabilisait si j’exprimais du bonheur. Il m’a fallu beaucoup de temps pour prendre simplement du plaisir (donner du pain sec aux oiseaux !). Pour moi il y a des gens doués pour le bonheur. J’ai du mal, pourtant j’y pense tous les jours, quand les malheurs sont évités. En permanence, je pense à tous ces malheurs qui ne sont pas encore arrivés. Ce soir par exemple, pour moi, c’était un vrai plaisir de venir vous retrouver. Dans notre chambre, j’ai affiché “ Veille que ce qui arrive arrive comme il arrive, et tu seras heureux ”.

Je suis d’accord sur ce qui est dit précédemment :associer devoir et bonheur, pour moi ce n’est qu’un slogan. En revanche, nous avons le devoir de ne pas ennuyer les autres avec notre malheur. Ma mère, cancéreuse, a eu la grande force de garder sa détresse et de ne pas ennuyer ses enfants. J’essaierai de faire pareil avec ma femme et mes enfants ?

On a le devoir d’être lucide sur son malheur et son bonheur. On peut comprendre les raisons de son malheur, et relativiser ses petits mouvements de mal et bon heur. Pourquoi se forcer à être heureux quand on a des raisons d’être malheureux ?

On se crée des malheurs futiles. On a le devoir de prendre du recul, de plus le bonheur de vivre est communicatif, c’est un regard intérieur sur ce qui nous arrive. Cette aptitude dépend du tempérament. Samedi, on est allé faire du ski, j’ai laissé mon mari skier, j’ai “ écouté le soleil ”, puis dormi, c’était formidable. Je l’ai savouré, peut être d’autant plus que je n’ai pas beaucoup de temps pour ça. Oui, notre éducation chrétienne m’a aussi culpabilisée.

Avec les enfants, les communications sont plus du domaine de la réprimande et du conseil. Avec l’âge, “ on progresse en sagesse ”.

Devoir d’être heureux pour les autres, car les gens malheureux sont franchement ennuyeux. Il me semble que j’ai le goût du bonheur, qu’on se le forge, malgré les moments difficiles. J’ai perdu mon père à 22 ans : ma 1ère épreuve, j’étais la 4ème d’une fratrie de 5, j’avais des relations privilégiées avec lui… puis j’ai rencontré mon futur mari. Cela m’a renvoyé du côté de la vie. Quand j’ai perdu ma mère (à 90 ans), ma première petite fille est née le lendemain, autre preuve de la vie. Nous avons aussi perdu un fils, ce qui m’a fait tenir, c’est “ l’Amour est plus fort que la mort ”. C’est dans ma foi que je puise ma source de bonheur, malgré révoltes et passages à vide. Ce n’est pas un refuge, mais tout prend sens. Je ne conçois pas le bonheur égoïstement, mais je sais que c’est difficile de rendre les autres heureux.

Bonheur : difficile à définir, sauf par le négatif : on sait qu’on a été heureux quand on ne l’est plus ! C’est une notion inconsciente. Notion relative à chaque personne et d’une personne à l’autre. Quand on était au fond du puits (opération au cerveau de notre enfant 3 ans) notre fils qui ne devait pas être conscient à la sortie du bloc, m’a demandé son Babar, il m’avait donc reconnu, ça a été un moment de plénitude ! Donc on peut être heureux dans le malheur, comme Job sur son tas de fumier.

Le devoir d’être heureux ? En tout cas de ne pas transmettre son malheur. Peut-être ne peut-on pas être heureux si on n’a pas été très malheureux puisque c’est une notion relative. Actuellement, beaucoup n’ont pas eu à lutter pour survivre (j’ai vécu la guerre) donc il leur est difficile de voir le bon côté des choses. Mon père disait “ nos parents n’avaient pas toujours de quoi manger, mais ils chantaient ”.

Donc, devoir de mettre en mémoire les moments où on est heureux, de voir toujours plutôt la bouteille demi pleine !

On a le devoir d’être heureux, vis-à-vis des proches (ma mère est névrosée, toujours triste) = maladie dépressive, une énigme médicale ?

Des gens ne s’autorisent pas à être heureux. Il n’y a pour autant aucun bénéfice à être malheureux (ex. dans un couple : l’un hésitant à partir si l’autre est malheureux). Le bonheur ce sont des petits instants de bonheur, ce n’est pas continu.

Réfléchir à ce qui permet d’être heureux : regarder l’album de photos, qui rappelle les petits instants de bonheur, quand le quotidien pas toujours très drôle.

Le message évangélique : Jésus est la voie du bonheur. Les gens qui ont la foi rayonne de bonheur, d’autres ont été culpabilisés (cf. ci-dessus) ?

Jules Renard : “ c’est pas le tout d’être heureux encore faut-il que les autres ne le soient pas ” !


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