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Vivre ensemble dans un monastère. Frère Yvan Juillet 2008- Conférence La Pierre Qui Vire

 

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 Questions Réponses (pas de texte correspondant) 

 

 Voltaire caractérisait les moines ainsi : « Des gens qui se rassemblent sans se connaître, vivent sans s’aimer et meurent sans se regretter » ! Et Péguy disait de nous : « Ils croient qu’ils aiment Dieu, parce qu’ils n’aiment personne ». C’est encore pire ! Ce qui est vrai, c’est que vivre ensemble n’est pas le motif premier d’une vocation monastique.

Nous nous disons « chercheurs de Dieu ». Saint Benoît demande de vérifier si le frère qui se présente au monastère cherche vraiment Dieu. On entre au monastère pour Dieu, pour apprendre à le connaître et à l’aimer. C’est ce désir qui est la source de notre vocation à tous. Aucun de nous n’est venu en se disant : « ils ont l’air plutôt sympathiques, je vais vivre avec eux » !

Mais dès le premier jour de notre vie en communauté, ce vivre ensemble apparaît comme très important, prend une grande place dans notre vie. Et finalement, il vérifie la vérité de notre vie de prière.

Nous allons regarder d’abord la Règle de saint Benoît.

Puis, au long des 45 ans de ma vie de moine, je pointerai des aspects de notre « vivre ensemble ».

Enfin je me servirai d’un texte récent du Père Denis. Toute sa vie, il a réfléchi sur ce thème : communauté et solitude, solidarité et solitude.

Première partie : Que dit saint Benoît ?

La Règle de saint Benoît organise toute notre vie. Recherche de Dieu et vie commune. Vie de prière et vie concrète du moine. Services fraternels et emplois lucratifs. En même temps c’est un texte ouvert, qui laisse toujours à l’abbé la possibilité de modifier ce qui est proposé. C’est pour ces raisons que des hommes et des femmes la choisissent comme guide pour vivre l’Évangile, depuis 1500 ans. On dit de saint Benoît qu’il est « expert en humanité ». J’espère vous donner envie de lire ce texte.

Le premier mot de la Règle est une bonne base pour qui veut appendre à aimer. « Écoute ». Écoute de Dieu, de sa Parole, des signes qu’il met sur notre route. Écoute du frère et de tout homme. Écoute de soi aussi, non pas s’écouter, mais savoir entendre, reconnaître ses pensées. Écouter, cela signifie interrompre le fil de mes pensées, me rendre attentif à l’autre, accepter d’être modifié par ce qu’il exprime. Écouter c’est donner de son temps, c’est donner de sa vie. On rapproche volontiers le 1er mot et le dernier mot de la Règle : « Écoute… tu parviendras » Obsculta…pervenies. L’écoute comme chemin pour apprendre à vivre, pour devenir vivant.

Voici maintenant le texte du chapitre de conclusion de la Règle de Benoît, le chapitre 72.

Avoir du respect les uns pour les autres. Supporter les infirmités, physiques ou psychologiques, beaucoup plus lourdes à porter ! S’obéir mutuellement ! Ne pas me mettre avant les autres. Ne rien préférer à l’amour du Christ : la Vie Éternelle !

Ce n’est pas parce que l’on aime que l’on entre au monastère, mais pour apprendre à aimer. Et pour cela Benoît engage le moine à pratiquer les actes d’amour qui peu à peu vont nous transformer. Ne pas confondre amour et sentiment.

Deuxième partie : Vivre ensemble : quelle est mon expérience ?

Je suis arrivé ici en 1963, dans une communauté de 100 moines. Au noviciat nous étions une trentaine. On y restait jusqu’à la fin des études : pendant 7 ans. C’était un groupe très vivant. Nous étions rentrés 13 la même année. François Léotard était du nombre. Nous restons 5 de cette promotion. Le climat était très sain. Le Père maître, le Père abbé essayaient de faire de nous des hommes libres, ils ne cherchaient pas à nous enrôler. Les départs n’étaient pas vécus comme des drames : ces jeunes hommes étaient là pour discerner si la vie monastique était leur vocation.

Le climat du monastère était plus silencieux qu’aujourd’hui : nous parlions par signes ! 100 moines, c’est un peu une caserne ! Pour moi je préfère la communauté de 50 que nous sommes, plus fraternelle, où tous sont en relation les uns avec les autres.

Le monastère était plus pauvre qu’aujourd’hui, plus austère aussi.

Une vie un peu entassée : à l’église, partout : les bâtiments n’étaient pas plus grands qu’aujourd’hui.

C’était une vie très réglée : on savait toujours où se mettre, qui devait passer le premier…

Une communauté jeune, moins de 40 ans de moyenne d’âge.

Une vie très structurée : Père abbé, noviciat, Père maître, etc.

Une vie austère : cellules, nourriture, période de jeûne.

Mais très joyeuse, avec un dynamisme ; le sens de notre vie était clairement dit. L’enseignement était tonifiant. Et nous avions un peu le sentiment d’être les meilleurs ! Des vrais moines…

Ce temps du noviciat est d’abord un temps d’apprentissage de la vie monastique. L’élément le plus important, ce qui m’a aidé à vivre, avec moi-même, avec les autres, dans ma quête spirituelle, c’est la relation au Père spirituel. Saint Benoît dit que le moine doit « ouvrir son cœur. Dire ses pensées. » Cette ouverture de cœur, le novice l’apprend avec le maître des novices. Une rencontre, une fois par semaine au début, ou plus s’il faut.

On n’y va pas pour parler seulement des difficultés dans la prière, ou de questions mystiques ! Dans cette relation, on apprend à dire ce qui nous fait mal, ce qui fait du bruit en nous : notre enfance d’abord. Nous-même, nos limites. Les relations avec les autres : cela aide à vivre ensemble d’avoir un lieu pour dire mes agacements, mes peurs, mes jalousies…

Souvent, parler à un autre, aide à voir clair, la parole du Père spirituel n’est pas toujours utile. Au moment où j’exprime, je vois ce que je déforme, ce que j’exagère, ce qui est faux dans mes pensées, ce qui me semblait une montagne et qui n’est qu’une taupinière.

Quand le moine quitte le noviciat il prend un autre Père spirituel, qu’il peut choisir en en parlant avec le Père abbé. La relation peut s’espacer, mais c’est important de la maintenir : on n’est jamais à l’abri de crises violentes, de tentations fortes, de conflits avec les frères.

Cette relation est l’un des bonheurs de ma vie de moine : un lieu où je peux tout dire, une personne qui connaît de moi ce que je n’aime pas exposer, et qui m’aime quand même.

Concrètement le Père spirituel peut m’aider aussi à repérer : « ce que tu reproches à ton chef d’emploi, à ton abbé, tu le reprochais déjà au précédent, à tous les précédents, à ton père… »

Il peut me relancer dans ma recherche de Dieu : si la quête spirituelle s’affadit, notre vie perd son sens.

Cette période du noviciat correspondait aussi à un grand chantier au monastère : la centrale électrique. Le maître des novices était aussi le responsable du chantier. C’étaient les jeunes frères qui creusaient ce canal d’un kilomètre de long, posaient les conduites forcées, construisaient l’usine… Nous y travaillions tous les après-midi et une journée par semaine, avec pique-nique ensemble. Je crois que cette réalisation nous a aidés à nous connaître, à vivre cette période de grands changements sans surchauffe excessive : le concile, mai 68.

Les Changements. La vie monastique bougeait !

Le premier changement a été la réunification de la communauté : contrairement à ce qu’avait voulu saint Benoît, depuis le Moyen-âge, les monastères étaient divisés en 2 groupes, moines de chœur et frères convers. Un peu les serviteurs de la communauté. Ils sont devenus moines à part entière, ils sont venus prier avec nous, ils ont participé au chapitre conventuel, lieu de décision de la communauté. L’un d’eux est devenu membre du conseil du Père abbé.

Le tutoiement est devenu possible entre nous à partir de 1967.

L’amitié entre moines aussi. Avec ses joies et ses difficultés. J’en reparlerai.

Auparavant il y avait plus de dévotions, au Père Muard, à la Vierge, au Sacré-Cœur. Mais les frères étaient plus individualistes.

Il y a eu plus de paroles entre nous. Avec des découvertes parfois surprenantes : ce frère très pieux et édifiant qui se révèle un entêté, qui a toujours raison !

Il aurait fallu citer en premier le concile, ce nouveau visage de l’Église. Les textes, les commentaires, nous étaient lus au réfectoire chaque jour.

Il y a eu mai 68 : le monastère était paisible, loin de l’agitation parisienne : nous ne cassions pas les vitres, nous changions les vitraux de l’église ! Pas de journaux, à cause des grèves, pas de radio au monastère. Mais après les événements le Père abbé a eu le souci de nous informer de ce qui s’était passé, du changement de société qui s’amorçait.

Le changement le plus visible peut-être : la liturgie. Le passage au français, l’aménagement nouveau de l’église, des messes célébrées autrement, par petit groupe, une fois par semaine…

 

Les groupes de communauté.

Pour aider le vivre ensemble, un des grands changements du visage de la communauté a été l’apparition des groupes de communauté en 1971.

Je vais dire un peu ce qu’ils sont. Ils sont formés par le Père abbé, pas des groupes cooptés. Ils se réunissent une fois par semaine, le soir. Chaque groupe a un animateur. Ils sont composés de 10 à 12 frères. Pour qu’un groupe fonctionne il faut qu’il comporte au moins 3 frères vivants, porteurs. Ils sont d’abord un lieu de partage : ce que je vis, ce que vit la communauté. Les activités possibles : repas ensemble pour fêter un frère, accueillir des hôtes pour un partage, regarder un film et partager nos impressions, parler de nos lectures. Une fois par an les groupes peuvent prendre un temps de vie en retrait de la communauté : prière et repas ensemble, pour une parole plus personnelle : mon enfance, ma vie, ce qui me fait vivre…

Chaque groupe a son visage, qui dépend de l’animateur et des frères qui le composent : un groupe reçoit plus d’invités, un autre regarde plus de films, un autre prend plus de temps de partage, ou de lectio ensemble.

Tous les trois ans environ ils sont un peu remaniés par le Père abbé.

L’amitié.

Amitié avec des frères. Je ne dirais pas « amitié spirituelle » : cette expression a pris un sens trop sublime ! Cette relation spirituelle, je la vis avec le Père spirituel. C’est une relation autre que l’amitié. L’amitié suppose l’égalité, la réciprocité, ce qui n’est pas le cas de la relation au Père spirituel.

L’amitié est un des bonheurs de la vie. Je n’ai pas 55 amis au monastère. Mais depuis 40 ans des relations avec quelques frères, d’estime, de complicité, d’entraide.

Dans une communauté, l’amitié suppose aussi un peu de discrétion, et d’attention pour que personne ne se sente exclu, de trop, que des frères amis ne deviennent pas une petite mafia !

Il y a aussi les amitiés qui cassent, et on reste ensemble…

1965-1972 : pour moi les années d’études. Nous étions une quinzaine d’étudiants, dont plusieurs frères d’autres monastères. Un temps de renouveau de la formation théologique dans toute l’Eglise. Du thomisme à la pensée contemporaine. Quand je suis arrivé ici, il y avait les 4 gros volumes de la Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin dans chaque cellule des jeunes frères. En latin. Le but de la théologie est d’exprimer le mystère de Dieu dans une culture. On ne peut en rester toujours au XIIIe siècle !

Nous expérimentions une façon nouvelle d’être formés. Nos professeurs étaient des frères du monastère. Avec des intervenants extérieurs. On avait parfois l’impression que nous allions tout réinventer ! Des moments de surchauffe. Des conflits entre professeurs. La tentation entre intellectuels de se classer définitivement : réac, gauchiste, thomiste, soixante-huitard… Il n’y a pas eu de morts. Pas de départs non plus. Mais reste ce danger de faire de l’idéologie, de mettre sur un frère une étiquette définitive.

Dans toute l’Église ces changements : pas seulement au monastère.

Je vais parler maintenant de quelques-uns de mes emplois : la ferme, l’hôtellerie, la poterie.

La ferme. Depuis longtemps elle travaillait en lien avec l’INRA qui faisait chez nous des expériences, d’engrais, de matériel. Il y avait beaucoup de personnel salarié, … et un trou financier, un troupeau malade.

En 69 le monastère a décidé de cesser la collaboration avec l’INRA, de se lancer dans l‘agriculture biologique qui commençait à peine, de ne garder qu’un salarié et de refaire de la ferme un emploi monastique. Et rentable, si possible.

J’ai été vacher, avec un autre frère étudiant, à mi-temps. Un superbe travail. Mais un chef d’emploi impossible, bourreau de travail et bourreau de ses frères. Il a quitté la vie monastique plus tard, après la mort de sa mère.

L’hôtellerie. J’y ai travaillé 20 ans, en plusieurs fois. Dans cet emploi il ne faut pas oublier que les vraies relations sont avec les frères d’abord. Les hôtes peinent à croire que nous sommes des hommes normaux, ordinaires, avec blessures et petits côtés. Les frères, eux sont bien payés pour le savoir ! Mais l’un des beaux côtés de l’hôtellerie c’est la rencontre de tout un monde que l’on ne trouve pas en communauté : les femmes, les couples, les familles, les enfants. L’amitié y est possible aussi. Plus facile à gérer avec des religieuses, avec des couples. On y a surtout beaucoup de relations, des gens qui sont amis du monastère, pour qui l’hôtelier est le frère de contact.

Un travail d’écoute. Ce que le moine reçoit de son P. Spirituel, il peut le redonner. Écouter, savoir orienter vers plus compétent : être moine ne fait pas de nous un psychologue gratuit ! Ni un guérisseur.

Ce qui m’a aidé à vivre ce travail : les relations fortes en communauté. Le Père Spirituel, quand une relation prend trop de place. Quand on se trompe, quand on reçoit des coups. Quand on tombe amoureux !

La poterie. Depuis 30 ans. Un artisanat. Un travail silencieux : la terre demande que l’on soit à son écoute. Les pots disent quelque chose de moi. On dit que la terre ne ment pas. « Agere sequitur esse » St Thomas d’Aquin. Tels qu’ils sont, j’aime bien mes pots. Je suis heureux de faire des bols, des objets d’usage quotidien : d’autres vont vivre avec. Ils seront chez eux un signe de la PQV.

Dans la communauté chacun a besoin de sortir sa voix, d’exprimer ce qui est en lui. La poterie est aussi cela pour moi.

La Bouenza.

En 1985 le P. Abbé m’a envoyé au monastère de La Bouenza, au Congo Brazzaville.

C’est une chance de découvrir une autre culture. Le « vivre ensemble » est différent au Congo. Beaucoup plus resserré qu’en France. Dans le train, le bus, tout le monde se parle. À l’église, sur le même banc, on met 6 Congolais quand on met 3 Français ! Une chrétienté très vivante, nombreuse, fervente. La liturgie est une fête. Il y a aussi beaucoup de peurs entre les personnes : la sorcellerie est partout présente, aucun Congolais n’y échappe, chrétien ou pas, moine.

En communauté nous étions entre 12 et 18 frères, dont 6 Français. Les Congolais étaient presque tous en formation. Tous les postes clés étaient tenus par les blancs !

J’étais Maître des novices : un petit groupe de 6 ou7 jeunes frères. Un groupe vivant et sympa. Mais quand il fallait dire à un frère de partir car la vie monastique n’était pas sa vocation, c’était un blanc qui chassait un Congolais de chez lui !

J’ai vécu là deux expériences dures :

Un frère impossible. Le plus ancien des moines congolais. Il avait de la haine dans le cœur, contre les blancs, contre les ethnies autres que la sienne. Contre sa mère surtout. Cela sortait de façon violente. Dans la liturgie quand il faisait une homélie. Quand il prenait la parole en communauté. Il avait de l’influence sur les jeunes frères. Il a été renvoyé de la congrégation.

Conséquence de ce qui précède, deux jeunes frères profès solennels ont pris femme au village. Tout le Congo le savait, tous les frères congolais du monastère, les prêtres, les évêques… Mais pas nous, leurs frères européens ! Expérience de non communication. Nous en parler aurait été trahir sa race, son pays.

J’ai demandé au Père abbé Damase de revenir à la PQV. Comment former des jeunes moines s’il n’y a pas entre nous un minimum de confiance. Je me sentais toujours moine de la PQV. Les liens restaient forts, par le courrier, les visites du Père abbé.

Retour du Congo.

Il m’a fallu du temps pour retrouver mes repères. Pendant 7 ans j’avais essayé de connaître une autre culture : j’avais changé, la communauté ici aussi. Pendant un an je me suis senti en décalage : ce que je disais ne passait pas, ce qu’on me disait ne m’intéressait pas !

Au bout de 6 mois, j’ai été nommé à Béthanie. C’était la vague New Age ! Les gens qui venaient pour les vibrations.

La poterie, l’hôtellerie, ces 2 emplois m’ont aidé. Car la communauté n’était pas facile : pendant mon absence on avait accueilli un groupe de jeunes frères, assez brillants, qui le savaient, qui méprisaient un peu les anciens. Qui avaient les emplois importants. Qui ont été brutaux avec des anciens qui ne pensaient pas comme eux.

1995 a été une année de crise. Départ soudain de 4 de ces jeunes frères profès solennels. La communauté s’est sentie trahie. Elle avait fait confiance, elle avait tout partagé. (L’un d’eux a écrit un livre sur sa vie chez nous, sans nous en parler ! Naïf et indiscret !)

Nous avons tous été fragilisés par ces départs. Il a fallu boucher les trous comme on a pu, car ils avaient les emplois importants. Deux autres frères sont partis un peu plus tard : toute une génération. Cela reste une blessure. Il y a ceux qui se sentent responsables de cet échec, car il y a eu responsabilité de notre part : nous n’avons pas su leur transmettre la vie monastique.

Les conflits entre nous.

Saint Benoît nous demande de faire la paix avant le coucher du soleil. C’est l’idéal, mais ce n’est pas toujours possible : il m’est arrivé bien souvent de m’endormir avec ma colère ! Et le projet d’un billet incendiaire…

Il y a les conflits ponctuels, les coups de colère, les paroles qui veulent blesser : c’est relativement facile de reconnaître ses torts et demander pardon. Ce genre de conflit renforce parfois la relation.

Quand les deux se sont emportés, ont des torts, si je demande pardon, que l’autre me l’accorde, sans reconnaître sa part de faute, je reste un peu barbouillé !

Mais il y a aussi les relations difficiles qui durent. Les frères qui ont un tempérament différent du mien, ou difficile. Ceux que j’ai blessé, où que je blesse quotidiennement, par ce que je suis, par mon emploi, ma fonction. L’agressivité larvée qui remonte à plus loin que moi. Pour tel frère, je peux être la figure du père, avec toutes les souffrances que cela éveille en lui. Essayer de replacer cette relation difficile dans ce qu’elle est vraiment : un homme qui souffre.

Dans un monastère, comme dans tout groupe, il y a aussi les hommes blessés, un peu pervers dans leur fonctionnement, qui provoquent l’agacement chaque fois qu’ils le peuvent, ou la colère chez les colériques. Saint Benoît nous demande de supporter les infirmités. Ceci en est une, et elle n’est ni consciente ni coupable. Avec le danger aussi, pour la communauté, de faire de ces frères difficiles des boucs émissaires, les coupables de tout ce qui va mal.

Jean Vanier, dans son livre : « La communauté, lieu du pardon et de la fête » dit qu’il y a un type de personne qu’on ne peut pas accueillir dans une communauté : le paranoïaque, celui qui ne peut jamais reconnaître ses torts, qui a toujours raison sur tout, qui suspecte tout le monde de lui en vouloir.

La prière : un vivre ensemble.

Saint Benoît dit : « ne rien préférer à l’amour du Christ. » La relation la plus importante dans la vie du moine.

La prière est une relation avec quelqu’un que nous apprenons à écouter, que nous apprenons à connaître par sa Parole lue, méditée, ruminée, commentée par d’autres.

L’office, les psaumes.

Comme pour toute relation, donner du temps. La régularité des temps donnés. La gratuité, donner plus que ce qui est prévu.

Laisse Dieu être Dieu en toi : le silence du cœur. J’apprends à aimer le Christ en aimant ceux qui m’entourent. Qui est-ce que j’aime ? Prier pour ceux que j’aime, remercier Dieu pour eux, les lui confier : une part importante de ma prière. Prier pour ceux avec qui je peine.

Troisième partie : Solitude, et « vivre ensemble ». Texte du Père Denis.

Père Denis était abbé quand je suis arrivé à la PQV. Beaucoup d’entre vous le connaissent : il a été abbé de la PQV 26 ans, puis il a laissé sa charge. Ensuite il a été élu abbé président de notre congrégation, 8 ans à Rome, et visite des communautés dans le monde entier : les 5 continents !

Depuis toujours il réfléchit sur ces 2 pôles de la vie du moine, de la vie de chacun d’entre nous, de toute personne : solitude, communion.

Il y a quelques jours, il m’a donné un texte qu’il est en train de rédiger. Voici quelques passages qui peuvent nous aider dans notre réflexion.

« La solitude, voulue par Dieu pour chacun, est une réalité précieuse, unique et respectable. Il en découle que le respect de chacun pour tout autre que soi devient aussi nécessaire que le respect de Dieu pour sa création, pour chaque être humain. Et puisque respecter vient du latin respicere, qui veut dire regarder, le respect ne sera rien d’autre qu’un certain regard, bienveillant et discret, libre et libérant. Ainsi la solitude de chacun aura toujours rapport avec la solidarité. La solitude est faite pour la solidarité. » Le vivre ensemble.

« La solitude est d’abord le rendez-vous de chacun avec sa source vivante, son Créateur, disons avec son Père. Naissance permanente. Renaissance, à certains moments où devient plus vive la conscience de ce qui, pourtant se vit de manière continuelle. Ces moments de conscience plus veillée correspondent souvent à des lieux, des temps d’isolement, de total silence, qui vont nous permettre de vivre en véritable liberté. »

« Si la solitude a besoin de silence, de distance prise, ce n’est pas pour se faire isolement, au mauvais sens de refus de l’autre, mais pour affermir sa liberté dans la rencontre. Vivre ces continuelles rencontres humaines dans le respect mutuel, où personne ne prend, ne possède l’autre. »

« La règle de saint Benoît, elle aussi experte en humanité, dit encore le Père Denis, me semble très favorable à qui veut vivre en vérité le jeu complexe d’une réelle et heureuse solitude, d’isolement, pour savoir vivre avec justesse la solidarité » pour réussir le vivre ensemble.

« Cette pédagogie se résumerait en trois termes : recherche constante de Dieu, unification de la personne, recueillement habituel s’ouvrant naturellement à l’accueil de quiconque survient et espère entrer en relation personnelle. »

Pour conclure je dirai encore deux petites choses :

Nous venons de vivre une session avec Elena Lasida, sur l’économie solidaire, le commerce équitable. C’est tout le vivre ensemble au niveau mondial qui peut changer.

Nous vendons à la librairie un petit livre de Pierre Claverie : « Petit Traité de la rencontre et du dialogue », superbe. Il dit : « rencontrer l’autre c’est difficile ! »