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VIVRE ENSEMBLE

Dunkerque, 17 et 18 mai 2008

13 présents + 2 témoignages écrits

Il est important de savoir se retrouver en famille. Mettre de l’eau dans son vin pour ne pas rester seul mais je sais aussi vivre seul. Il y a une différence entre isolement et solitude. Dans la vie de travail, il faut savoir respecter l’autre et sa façon de faire. Il faut bien se connaître. Vivre ensemble en communauté ? Si cela n’était pas possible, il n’y aurait personne aujourd’hui à la Mission de la Mer.

 

En couple, à la retraite, on vit 24h sur 24 avec l’autre. C’est une nouvelle vie dans le respect de chacun, pour que chacun puisse rester lui-même. En famille avec les enfants, il s’agit surtout de les accompagner dans leurs projets, de les respecter et les accepter. Ils font des choix qui ne sont pas forcément les nôtres. En communauté, il faut s’accepter différents sinon on est dans une impasse. On doit pouvoir arriver à s’entendre par des voies différentes sans vouloir dominer, pour pouvoir accepter et ne pas étouffer l’autre. Et surtout pour vivre ensemble il faut avoir des projets en commun.

 

Notre communauté maritime vit ensemble depuis 50 ans. Au départ, il y avait un choix du milieu professionnel, des idées, des amitiés et des engagements. Puis il y a la découverte des particularités du milieu, des insuffisances et des imperfections de ce milieu. Difficultés aussi à admettre certains caractères, à comprendre certains comportements. Toute une vie très complexe faite d’engagements et de renoncements parfois : parce qu’engagé à fond dans ce milieu, on a moins de temps pour la vie de famille, d’autres rencontres et d’autres milieux. Mais l’enrichissement se fait par la diversité des personnes rencontrées, l’engagement avec les marins étrangers. Cela nous permet d’élargir notre esprit et notre cœur. Enrichissement aussi par la fraternité vécue en communauté. Les raisons pour lesquelles on s’engage évoluent beaucoup et nécessitent une adaptation permanente.

 

Vivre ensemble, c’est un cheminement.  Pendant des années, j’ai fait le choix d’entrer dans un syndicat. Au début il  fallait se taire, rester en retrait. Aujourd’hui, avec les anciens, il est possible de vivre ensemble, de faire se rencontrer des gens d’associations différentes comme, par exemple, syndicats et association anti-amiante. Vivre ensemble, être dans un milieu autre qui n’est pas le sien, c’est aussi aller au-devant des autres. Vivre ensemble avec Dieu, avec un Dieu père qui a le sens de tous ses enfants et qui sacrifie son fils. La foi est une réponse à Dieu qui m’appelle et qui me dit « Va vers tes frères ».  Ce n’est pas un aménagement, c’est plutôt un déménagement. Vivre ensemble c’est une séparation pour une cause qui nous dépasse. Vivre ensemble, ce n’est pas un état, c’est un chantier. Vivre ensemble avec Dieu ou avec un peuple, c’est une Contemplation. Ma nature me fait parler de ce qui ne va pas et pourtant il y a des merveilles dont on ne parle pas.

 

Dans « Vivre Ensemble » c’est le mot Vivre qui m’intéresse. Du même ordre que ce que nous venons de vivre lors des visites à l’hôpital auprès d’un marin indien. Tout un réseau spontané d’amitiés et de compétences s’est mis en place : son voisin de chambre un Érythréen, le personnel de l’hôpital très attentionné sur cette situation particulière, l’agent maritime qui était  un ancien bénévole du Foyer d’accueil maritime… Des contacts avec l’assurance ont été pris pour savoir comment il allait pouvoir rentrer chez lui. Le vivre ensemble est créateur. Dans le monde entier, il y a des groupes qui produisent du vivre ensemble. Pour cela  il faut sortir de soi, avoir le souci de l’autre pour que chacun puisse vivre pleinement en solidarité.

 

La vie est la base du vivre ensemble. Vie subie : pas d’alternative. Vie choisie, implique un projet, un objectif avec des contraintes plus ou moins fortes en fonction des conditions et du milieu. L’objectif : la citoyenneté dans l’application des droits de l’homme

 

Vivre ensemble c’est un apprentissage qui commence avec nous et finit avec nous. A chaque situation cela nécessite une approche différente : en famille, en couple, dans la vie sociale, en maison de retraite. Il faut accepter que d’autres ne pensent pas comme nous. Quand il y a une perte d’autonomie qui nous oblige à être dépendant, il nous faut bien vivre avec les autres. Pour ma part, lors d’un séjour à l’hôpital suite à un accident, j’ai eu la chance d’être entourée par des amis, par la famille et c’est beaucoup plus facile à supporter. Savoir garder une certaine disponibilité. Arriver en fin de vie de couple, il faut apprendre à vivre sans les autres.

 

Sur un bateau on peut vivre en cabine à 6, à 2, ou bien seul. À six : le salut est dans la fuite. A deux : c’est difficile car il est difficile de vivre toujours avec la même personne. Seul : on ressent le besoin d’avoir une porte ouverte. Sur le plan familial, j’ai pris l’initiative d’inviter ma famille pour mon anniversaire. Ma famille de chair et de sang malgré les distances prises avec les uns et les autres.  Ce fut une journée pleine du bonheur de vivre ensemble parce qu’en définitive nous avons tous été aimés par les mêmes personnes : nos parents. On n’a jamais été jusqu’à la rupture, nous sommes restés en relation et la vie continue même après la mort. La relation me fait ce que je suis. Nécessité : sincérité mais avec amour ; il faut savoir lâcher prise ; si on sent que cela blesse, il vaut mieux se taire et sauvegarder la relation. Vivre ensemble est une nécessité comme l’air que l’on respire mais pas un air confiné et cela demande de partir au large. Vivre ensemble en chrétien ? à ce propos j’aime bien citer la phrase de Jean-Paul II  : « Nos textes ne sont pas des dépôts sacrés mais une fontaine devillage ». L’église doit assurer la transmission d’un récit d’actes et de paroles par des témoins. Vivre ensemble dans un monde ou certains veulent en exclure d’autres ? Il n’y a pas d’exclusion à faire ; ne pas rompre mais mettre de la distance et continuer de cheminer ensemble.

 

Vivre ensemble : c’est ensemble qui est important. La vie de quartier exige des relations de confiance avec tous nos voisins : on peut compter les uns sur les autres. Pour la vie associative, je pensais donner du temps au cours de ma retraite mais j’ai quitté deux associations dans lesquelles il y a eu des difficultés pour faire travailler ensemble et pour atteindre les résultats que l’on s’était fixés. En ce qui concerne la vie avec des personnes étrangères, il est nécessaire d’avoir une démarche commune. Dans la vie familiale, nous découvrons que nos enfants ont une autre façon de voir les choses et on a quelquefois du mal à les comprendre. Ils sont un peu différents de ce que l’on pensait. Avec les petits-enfants : on ne se voit pas longtemps et pas très souvent. Les avoir tout seuls : c’est parfait ; avec leurs parents, c’est plus difficile. Vivre ensemble c’est aussi faire, là où on est, ce que l’on peut faire, savoir admettre ses limites, savoir se reconnaître dans chaque évènement.

 

Le livre de la jungle est une excellente leçon du vivre ensemble. Vivre tout seul est-ce possible ? Se retirer pour un certain temps et vivre seul pour réfléchir, oui. Mais ce n’est pas possible que cela dure trop longtemps. Très sensible à distinguer « vie subie » ou « choisie ». J’ai connu deux situations à ce propos :  - Vie subie à Hanoi dans les années 60 : La population était concentrée avec des contraintes extraordinaires en ce qui concerne la liberté  de penser et de dire. Le degré de liberté était très faible, voire inexistant. - Vie choisie à Kerguelen : Les contraintes étaient aussi énormes, mais le degré de liberté était très important, d’où un plaisir intense et une très grande capacité à entrer en relations avec les gens. La déclaration des droits de l’homme, c’est pour moi le degré de liberté le plus important. La convergence : il existe des gens qui ont une prédisposition à vivre ensemble.

 

Vivre ensemble, ce n’est  pas facile et dans tous les cas ce n’est jamais acquis. C’est toujours à remettre en question. Il y faut du temps, de la patience et de la vigilance. Enfant je ne comprenais pas qu’au sein d’une famille, on puisse ne pas s’entendre. Aujourd’hui, j’ai appris à  gérer les conflits principalement dans la vie professionnelle. D’abord en les regardant en face et en les acceptant, ensuite, en apprenant à les gérer comme un facteur de progrès possible. En acceptant aussi les critiques comme une chance de se remettre en cause.  Vivre ensemble, cela suppose que l’on se connaisse bien, et que l’on ait la capacité d’anticiper sur ce que veut l’autre, sur ses besoins et ses attentes. Cela suppose aussi de  savoir dire ce que l’on ressent. Cela nous oblige à nous remettre en cause et à savoir rompre avec nos habitudes.  Bien vivre ensemble en couple c’est aussi un équilibre à maintenir  entre présence et besoin d’indépendance.

 

Une grande question : comment vivre ensemble sur une planète où l’on ne peut actuellement assurer justement le vivre : la faim, le prix des produits élémentaires qui augmentent beaucoup pour des gens qui ont le minimum.

 

En 1943 j’ai vécu à Mogador qui utilise davantage maintenant le nom d’Es Sauoira, Es Saouira , Saouira voulant dire en arabe « image ». Image que présente la ville toute blanche dans son écrin de dunes. Ce n’est pas sans fierté ni émotion que j’ai lu dans les Voix du Nord des 4, 9 et 11 mai que l’orchestre national de Lille se déplacerait au Maroc et passerait quatre jours au festival des Alizés d’Es Sarouira. Ma fierté est d’autant plus grande qu’André Azoulay, conseiller du roi Mohamed V, est originaire d’Es Saouira et est le créateur de ce festival de musique, seul du genre dans le monde arabe, qui permet, comme l’écrit Mohamed Ennaji, exécutif du festival  « dans cette terre de rencontres de chanter en arabe, en latin et en hébreu semble chose aisée et naturelle ». Au moment où des pays se déchirent entre frères, que ne puissent-ils entendre ces mots ? J’ai vécu une enfance heureuse dans cette ville qui comptait une dizaine de milliers d’habitants, les juifs, chassés d’Espagne par l’inquisition étant les plus nombreux, où comme j’avais eu l’occasion de le dire au Père Colliche au moment où on parlait de bâtir une mosquée à Dunkerque, que les appels des muezzins ne nous gênaient pas plus que les prières s’échappant des synagogues ou les cloches de notre église. Je rappelle également qu’au moment de l’occupation en métropole, le roi du Maroc avait refusé que les juifs marocains portent une étoile jaune sur leurs vêtements.

 

Il faut vivre dans cette société mondialisée avec un minimum de paix et de sécurité car quelle que soit la culture de l’autre, tous les hommes aspirent à la paix. Mais cela commence près de chez nous et suppose une attitude d’écoute et de connaissance de l’autre sans mépris. J’ai fait l’expérience d’un « vivre ensemble » en 1985 lorsque nous dûmes partir à Marseille pour mon poste de shipplander.  Allions-nous habiter dans les quartiers nord ou en centre de ville ??? Très conscient de cette mixité utile pour faire avancer cette société « mondialisée » nous avons pendant deux mois réfléchi à ce problème mais aussi en tenant compte que notre fils rentrait en 6e, classe clé pour la continuation des études. Finalement, nous avons choisi notre bien-être social et nous nous sommes installés dans le 4e arrondissement, donc en centre ville. À Grenoble, cinq ans avant, nous avions fait une expérience similaire avec des amis qui habitaient « Villeneuve », cette citée flambant neuve née des jeux olympiques de 1968 et qui devait justement mixer toutes les catégories  socioprofessionnelles et qui en 1980 ressemblait plus à un ghetto qu’à une cité ouverte. Nous avons tous besoin de nous retrouver dans notre milieu socioprofessionnel et même sans être méprisant nous avons besoin d’échanger avec des personnes qui nous comprennent : c’est le problème de la réciprocité et non du Ghetto. Il est facile d’en parler, d’analyser ce problème, mais il est compliqué de le vivre car nous ne sommes pas entièrement au service de l’autre. Il y a toujours en nous l’individualisme qui est commun à toutes les sociétés et qui entraîne des mouvements intégristes qui freinent cette évolution plutôt que de l’accélérer… Deuxièmement, il faut savoir et vouloir aider et partager sans se faire plaisir, mais vraiment pour l’autre. La pauvreté augmente de plus en plus et vivre avec un salaire inférieur au SMIG n’a pas le même sens que pour celui qui gagne 1800 € par mois et plus…. Alors pour « Vivre Ensemble », prenons-nous le temps d’aller vers les plus pauvres ??? Il faut se remettre en cause et c’est la question primordiale pour essayer de « Vivre ensemble ».

 

Pour toutes les générations, vivre ensemble est devenu difficile de nos jours et ce, à tous les niveaux (en famille, entre voisins, entre générations différentes). L’évolution des techniques et l’ultra modernité en sont une des causes, mais aussi la différence des cultures et d’origine. Nous vivons à une époque où le « chacun pour soi » domine. Même moi, faisant partie des nouvelles générations, je me trouve parfois dépassée (j’ai une adolescente de 16 ans et un adolescent de 13 et, sur le plan professionnel, je travaille dans une résidence qui accueille à la fois des personnes âgées et des personnes de tous âges). Or je pense que nous avons besoin des « anciens », ils nous permettent de comprendre notre jeunesse, notre évolution et nos acquis. Pour bien vivre ensemble il me semble important de faire un travail sur soi et faire preuve de tolérance, de respect et de patience pour une compréhension des autres et de leurs différents points de vue. Pourtant les jeunes ont du mal à se retrouver dans ces domaines, ils ne respectent plus rien et trouvent que tout est normal. Nous leur donnons trop de liberté, ce qui les amène parfois à mal s’en servir. Pour ma part, j’ai 35 ans, j’ai eu une éducation comme on dit « à l’ancienne », mon grand-père m’a inculqué le respect des siens et des autres , des principes qui, malgré l’évolution, me sont restés ; ce qui m’oppose parfois aux autres membres de ma famille ( certains me trouvent « dépassée ». Face aux jeunes, je trouve que les parents sont souvent dépassés et ont trop vite baissé les bras. Vis-à-vis de mes enfants j’essaie pourtant de leur donner une partie de cette éducation mais c’est difficile. Même en famille vivre ensemble est difficile. Il faut faire un travail sur toutes les générations, par exemple susciter des lieux de vie inter générations pour que tout le monde puisse se trouver bien. Par exemple, un couple de voisins dont le monsieur a 90 ans, a dû être transféré aux urgences. Et bien son épouse, atteinte de la maladie d’Alzheimer, est restée seule, plusieurs jours, sans aucune visite de ses enfants et voisins. Face à cela, quelles solutions apporter, que faire ?  J’aimerais tant que mon point de vue se généralise : je m’en fiche que mon voisin soit noir, arabe, chômeur ou travailleur, catholique, musulman ou homosexuel. Tous ont besoin d’un bonjour, d’une marque de sympathie et nous devons nous côtoyer dans le respect mutuel ce qui hélas n’est que très rarement le cas. Aujourd’hui je ne crois pas que nous pouvons vivre ensemble car nous ne voyons que violence, non respect, et cela commence dès l’école primaire. Alors je doute que nous puissions vivre un jour ensemble dans le respect mutuel.

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