OUVERTURES Mgr Jacques Gaillot

 

 

Merci de m’accueillir, de prendre le risque de m’accueillir. Il y a même parmi vous des moines, … y compris le prieur…

On m’a dit que le thème général était « Les limites », moi j’ai plutôt pensé « Ouvertures » ; j’ai pris ce titre pour dire que l’avenir est ouvert, c’est à dire l’avenir n’est pas écrit.

Samedi dernier je faisais, un baptême et j’ai dit à la famille, aux gens : « Que sera cet enfant quand il aura 20 ans, que sera-t-il, aura-t-il la foi ? » je n’en sais rien. « Aura-t-il trouvé son chemin ? », on ne sait pas. Quand un enfant naît au monde, il apporte avec lui la nouveauté, une nouveauté qui n’a jamais existé avant lui, et qui n’existera jamais après lui, parce qu’il est unique. Il a un chemin à trouver qui ne peut être que le sien. On n’est pas fait pour copier, on n’est pas fait pour imiter, on est fait pour devenir nous-mêmes. Les gens qui suivent les autres ne vivent pas vraiment ; on peut s’inspirer de gens importants qui nous éclairent pour donner sens à notre vie, mais c’est notre vie que nous avons à mener. C’est une belle aventure.

 

Il y avait un rabbin célèbre au dix-huitième siècle qui était très connu, qui avait beaucoup de disciples, et il disait un jour : « Quand j’irai dans l’autre monde on ne me demandera pas pourquoi n’as-tu pas été Moïse, mais on me demandera pourquoi n’as-tu pas été toi même ». C’est formidable, c’est ça l’important, c’est-à-dire pas je ferais comme tel artiste, tel comédien, tel homme politique, mais nous-mêmes et c’est cette nouveauté que nous avons à porter aux autres.

Alors je voudrais vous parler de quelques rencontres qui ont été rafraîchissantes pour moi, en ce temps de canicule.

 

J’ai reçu un coup de téléphone d’une femme que je connais à peine ; j’ai mangé une fois avec elle, avec son compagnon, et qui me dit : « J’ai une bonne amie qui est en train de mourir à l’hôpital de La Salpêtrière, elle a la maladie de Charcot ». C’est peut être intéressant que je vous parle de cette femme, car son compagnon je l’ai bien connu, c’est un Italien, Luigi, il a fait de la prison. C’est un homme sympathique, intelligent, débrouillard et il m’avait invité au restaurant dont il est le gérant près de la gare Saint Lazare en me disant de venir vers une heure et demie, « Quand il n’y a plus beaucoup de monde, je serai content de te faire connaître ma compagne ». Alors je m’en vais à son restaurant et il m’explique comment il a connu sa femme. Dès qu’il peut, il va fumer une cigarette sur le trottoir, c’est un grand fumeur, et voici qu’une femme qui passe par là lui dit : « Je cherche l’église Notre Dame de Lorette ». Notre Dame de Lorette n’est pas loin, mais il y a un immeuble qui la cache. Et alors Luigi la regarde et lui dit : « Et bien moi, je cherche une belle femme comme vous » ; elle demande une église et il répond je cherche une belle femme. Je pensais à la parabole du corbeau et du renard, la fable plutôt, et le corbeau laisse tomber son fromage devant les compliments qu’on lui fait, et bien, elle a délaissé l’église si je peux dire pour Luigi et ils sont amoureux l’un de l’autre.

 

Donc c’est cette femme qui me téléphone. Elle me dit : « Vraiment je vous demande d’y aller, elle va mourir dans quelques jours », alors moi je résiste : « Écoutez, c’est difficile d’aller voir quelqu’un qui est en train de mourir et qu’on ne connaît pas, je veux bien rendre service mais quand même, il y a peut-être des gens plus qualifiés que moi ». « Ah, si, si si…si, si, si… » et vous savez ce que femme veut… Alors je m’en vais à la Salpêtrière avec des semelles de plomb, en me disant, mais vraiment qu’est-ce que je vais faire là-bas ; je ne connaissais que deux choses, elle était au bâtiment Charcot et le numéro de la chambre. Je me disais « Est-ce qu’elle est mariée ? Est-ce qu’elle a la Foi ? ».

Je me dis « dans la chambre il y a peut-être deux femmes, laquelle sera la bonne quand je vais rentrer ? » bon, enfin c’est dans ces mauvaises intentions que j’arrive à la chambre, j’entre, elle était toute seule ; il y avait un homme qui était son mari au pied de son lit, assis, dès qu’il m’a vu il est parti, il est parti à la voiture et me voilà seul avec cette femme qui me fait un très beau sourire, elle ne peut plus parler. Alors elle est assise sur son lit, d’une grande maigreur, elle a un petit appareil où elle écrit et me le tourne : « Merci beaucoup d’être venu, est-ce que je peux vous poser quelques questions ? » – « Écoutez, oui, si elles ne sont pas trop difficiles ».

 

Alors elle me dit non, elle écrit rapidement, sans faute, d’une belle écriture, c’est une femme qui avait de la culture, et à un moment elle me dit : « Et comment ça va se passer dans l’au-delà quand j’y serais ? » Alors moi je lui réponds : « Écoutez, on verra bien quand on y sera, pas la peine de … » alors ça la fait rire, « Je pense comme vous », alors là pas la peine de poser la question ! Alors le dialogue s’instaure bien l’un à l’autre, et puis elle me dit à un moment donné : « Mais quand même, j’ai quelque chose, qui est un poids en moi, c’est que je n’arrive pas à pardonner à des gens qui m’ont fait du mal, beaucoup de mal, ça, ce n’est pas possible, et je ne voudrais pas mourir avec ça, comment faire ? » Je lui dis : « Vous savez, le pardon c’est difficile, c’est difficile, et il y a des choses qu’on ne peut pas se donner soi-même, on n’y arrive pas, et ce qu’on ne peut pas faire par soi-même, il faut le demander à l’autre, il faut le demander à Dieu, puisque Jésus nous a demandé de pardonner, donc il faut le mettre au courant, lui demander. Alors moi je vous propose qu’on récite tous les deux le Notre Père ; on demande justement à Dieu de nous pardonner » …

Et alors je lui tiens la main, je récite lentement le Notre Père, j’y ajoute le Je Vous Salue Marie, je la bénis, je l’embrasse et je m’en vais. Le soir elle m’envoie un SMS, et elle me dit : « Ça y est, j’ai pardonné ». Je voyais comme dans Internet, un courrier qui ne part pas, vous faites quelques manœuvres, ça part… et bien là c’est parti, elle me dit : « Je suis en paix avec moi-même, quelle belle rencontre nous avons eue, quelle lumière et, je vous remercie » ; et le lendemain matin, elle m’envoie encore un SMS : « Cette nuit j’ai dormi dans la paix, je suis prête à partir », et dans cette rencontre vraiment de lumière, nous avons découvert ensemble ce que c’était que la paix. Elle est morte. J’envoie à son mari les deux SMS, ces deux beaux SMS, on pourrait les lire à ses funérailles.

Et bien ce que je retiens de cela, voyez-vous, c’est que, il y a de belles choses qui se passent dans la vie, des choses inattendues, moi c’était le tout venant, on m’a demandé d’aller quelque part, et quand un dialogue se noue, d’égal à égal, il se passe souvent des choses, et quand l’autre découvre que nous sommes un frère pour lui, alors nous pouvons aller de l’avant, et que l’avenir est ouvert ; on n’est pas fait pour vivre dans le ressentiment, dans la haine, dans la jalousie, mais on est fait pour vivre dans l’amour.

Une deuxième rencontre, c’était à Paris, je m’occupe du Droit au logement, et on allait rue de la Banque, près de la Bourse, et je descends au métro Bourse ; et j’y allais très souvent, presque tous les jours, en fin d’après-midi, il y avait une quarantaine de familles qui étaient là avec des petites tentes rouges, sur les trottoirs, etc. et c’était au mois de novembre, il faisait froid, les hommes qui travaillent reviennent le soir, les femmes étaient là, les femmes sont résistantes, vous savez, elles ne lâchent pas ; c’est un dialogue difficile avec le ministère du Logement, ces familles avaient droit à un logement, la loi Dallo, et donc j’allais les voir, c’est toujours sympathique, les enfants, et tout et tout, on passe un bon moment, et puis je m’en vais faire un tour à Notre Dame des Victoires qui n’est pas loin, peut-être 300 mètres, une belle église, et donc je m’en vais à Notre Dame des Victoires, et en entrant, je vois que l’église était remplie de monde.

 

Je me demandais ce que c’était, ça chantait, c’était beau, des lumières partout, de l’encens, il y avait le Saint Sacrement d’exposé, et il y avait le reliquaire de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus au milieu de l’église ; et voilà il fait bon, je prie dix minutes, un quart d’heure et je reviens vers mes petites tentes rouges, il faisait froid, c’était la nuit, et je me disais sous ces petites tentes, il y a des vivants, il y a des gens qui sont dans ces tentes, et les vivants que nous sommes, c’est encore plus important que des reliques, même si c’est des reliques de sainte Thérèse, des êtres vivants, qu’il faut défendre … et je me disais, est-ce que tous ces gens, toute cette foule qui était dans cette basilique était au courant que à 300 mètres, il y avait des gens qui dormaient dehors, le savaient-ils ? Je ne sais pas. En tout cas le lendemain matin, les CRS sont venus et ont piqué toutes les toiles de tente, ils les ont ramenées avec eux, et ils ont chassé les familles brutalement ; et le même matin, plus tard, les reliques de sainte Thérèse sont parties en procession à Montmartre, protégées par la police.

Voyez ce contraste, tout près, comme ça, et comme c’est important de ne pas passer à côté de l’événement, et que notre foi, notre prière ne nous détourne pas de ceux que la société délaisse.

 

Il y avait sur le mur d’un squat quelqu’un qui avait écrit, je ne sais pas qui, « Renoncer aux autres, c’est renoncer à soi, à jamais » une belle parole. Renoncer aux autres…, et bien nous sommes liés, nous sommes liés aux autres, aux vivants, pour les protéger, pour les défendre, pour les reconnaître… et c’est ça qui nous est demandé d’abord… Je suis toujours impressionné que Jésus, dans l’évangile, n’invite pas d’abord à la pratique religieuse, mais à la pratique de l’amour et de la justice qui sont dus au prochain ; on n’est jamais dispensé de cela ; parfois on dit je ne pratique plus, peut-être la pratique religieuse sans doute, mais pas cette pratique de l’amour et de la justice, on ne peut pas s’en dispenser. Jésus est venu annoncer, ce n’est pas d’abord la religion, c’est un monde plus humain et plus juste.

 

L’année passée, il y a un Guadeloupéen, 41 ans, qui débarque à Paris, il avait eu un procès en Guadeloupe, il était accusé d’avoir tué un syndicaliste ; il y avait eu des fortes émeutes, tout un soir, dans le quartier Henri IV et, il y a eu mort d’homme ; alors on a cherché, et etc., et on est tombé sur lui ; c’est un homme marié, il est catholique, il a deux enfants, il y a eu un procès aux assises et il a été libéré et relâché. Mais le parquet a fait appel en demandant que le procès en appel se fasse à Paris. Alors lui ne voulait pas venir à Paris, il n’a jamais été à Paris, ça coûte cher, etc. Mais il était forcé de venir, des policiers en civil l’ont amené en avion, sont restés avec lui, et à Paris ils l’ont amené au dépôt, au Palais de justice.

 

À Paris, à cet affreux dépôt, la police ne l’a pas voulu, pour venir ici il faut un mandat, un mandat d’arrêt ; alors il demande au président du tribunal qui lui dit qu’il est un citoyen libre, on lui demande simplement d’être là demain à 9 heures aux assises, et c’est tout. Il fait ce qu’il veut à Paris. Alors il ne savait pas trop où aller, il est syndicaliste, il est en lien avec des syndicalistes, et puis Alain Krivine me téléphone, et Alain Krivine me dit : « Est-ce que tu ne pourrais pas rendre service et être le garant de ce Guadeloupéen pour la semaine où il est en jugement », « Pourquoi pas ? », « Est-ce que ce serait possible aussi qu’il puisse loger dans ta communauté, parce qu’il serait peut-être mieux là que chez des militants, où il sera dérangé, on voudra lui poser des tas de questions, il serait plus en repos chez toi ».

Alors je dis : « Là je ne suis pas responsable de la communauté des Spiritains où je vis, je vais demander au responsable ». Alors je vais demander au responsable, je lui dis : « Est-ce qu’on pourrait accepter qu’un Guadeloupéen de 41 ans, en procès aux assises demain, loge la semaine ici ? » Il me répond : « Oui, il faut secourir, il faut être généreux, solidaire, c’est le carême et tout et tout ... ; on va lui trouver une chambre au cinquième, il sera tranquille », et il me dit : « Qu’est-ce qu’il a fait ? » et je dis : « Il est accusé d’avoir tué », « Ah ! Mais ce n’est pas sûr… ».

 

Je suis chargé d’aller au métro voir ce Guadeloupéen. C’est un homme sympathique, vraiment sympathique, il a comme toujours pour les gens des Caraïbes, une joie de vivre… Et alors le matin, on prend le petit déjeuner à la communauté et on descend tous les deux au Palais de justice, on descend le boulevard Saint Michel, et il est là sur une chaise, face aux jurés qui ont été élus, etc., etc. Vous savez, ce n’est pas très facile, pas très commode, moi je reste une heure ou deux et puis je m’en vais, lui reste toute la journée comme ça, à attendre. Alors un matin, je lui dis : « Quel est ton secret, pour que tu vives comme ça, apparemment en paix, tu dors bien, tu es gentil avec tout le monde, tu aimes la vie ? », alors il me dit : « C’est ma confiance en Dieu, Dieu me tend les bras ». J’écoute, c’est beau, un beau témoignage dès le matin. Alors je l’accompagne tous les matins, je l’accompagnais sauf le dernier jour, le vendredi où il y avait le résultat du procès, je devais aller à Arras, une soirée à Arras avec les francs-maçons, et alors je lui avais dit tu me diras l’issue du procès, parce que évidemment le procès n’était pas simple, ça se bagarrait, il y avait un avocat qui était venu de la Guadeloupe, quand même, et le défendait, vraiment. Bon, à Arras je regardais mes SMS, à 11h du soir, rien, j’étais embêté, je me disais c’est cuit, les carottes sont cuites.

Le lendemain matin je regarde et il me dit qu’il est libéré. Alors il m’a raconté, « Les gens disent d’habitude ça va vite, au bout d’une heure, …, le vendredi, les gens repartent etc., mais 8h, 9h, l’avocat… je sentais que ma vie basculait et il y avait un fourgon qui était prêt à me prendre pour m’amener à la centrale de Poissy », si il était condamné, il partait directement pour Poissy, sans prendre ses affaires. Il en était là, et il m’a dit qu’il ne savait vraiment pas ce qu’il allait devenir ; là, il était libéré, il était heureux comme tout, il a passé des SMS, tout ça, à sa famille, enfin bon.

 

Quand il est arrivé en Guadeloupe, on l’attendait comme un prince, il avait préparé un petit discours et tout, et tout… ça s’est bien terminé. Je retiens que cet homme, j’admirais comment il tenait bon, comment il tenait bon, dans sa vie, dans cette épreuve, et il avait aussi ce sentiment de ne pas avoir tué cet homme, il a fait deux ans de prison en Guadeloupe avant le procès, il a fait deux longues grèves de la faim pour dire « ce n’est pas moi » et on peut toujours se demander quel est le secret de notre vie, qu’est-ce qui nous fait tenir debout dans les épreuves, dans les difficultés, etc. Lui, c’était sa confiance en Dieu.

Il y avait au tribunal administratif, qui se tient dans un coin du Palais de justice de Paris, un procès pour ceux qui étaient au centre de rétention de Roissy, c’est-à-dire àMesnil Amelot à côté, pour des gens qui sont condamnés au retour, et alors on défendait un jeune, qui avait 25 ans. Il était d’une petite république qui appartenait autrefois à l’URSS, qui est indépendante maintenant, je ne sais pas si c’est l’Azerbaïdjan ou quelque chose comme ça, et il travaille à Paris, il est marié avec une jeune afghane qui a 18 ans, il a une fille de 2 ans.

 

Pendant qu’il est au centre de rétention à Mesnil Amelot, sa femme a mis au monde un garçon qui a maintenant une semaine et qu’il n’a pas encore vu. Arrivé au tribunal administratif, là il y a des salles d’attente, et ceux qui arrivent du centre de rétention sont à part dans une autre salle. Alors on demande au commissaire de police, est-ce que ce jeune papa peut voir son enfant qu’il n’a pas encore vu et qui est là avec sa femme, on leur avait dit de venir. Et alors cette jeune afghane, habillée en blanc avec son voile, ses deux enfants, elle ne parle pas français hélas ! Alors le commissaire accepte que le jeune papa arrive. Il arrive, sa femme lui remet l’enfant dans les bras, plutôt dans ses grandes mains, alors il est…, apparemment il ne manifeste pas d’émotion, il est pétrifié, de tenir son fils, comme ça dans ses mains, il n’en revient pas, et puis après un moment de silence, il remet l’enfant, il embrasse sa femme, il embrasse sa fille, et laisse éclater sa joie, son bonheur d’être là. On était venus une douzaine pour le soutenir, il était visiblement heureux d’être entouré comme ça par des gens ; alors on a pris des photos, et comme c’était le moment de Noël, moi je pensais à la crèche : Marie 18 ans, l’enfant, Joseph, c’est beau…

 

On passe au juge du tribunal, on avait écrit au juge qui n’est pas commode et je lui avais dit : « Au plan humain, le respect des personnes passe avant le respect de la loi, le respect d’un homme et d’une femme vaut plus que le respect de la loi ; et regardez si cet homme qui a un travail repart dans son pays, que va devenir sa femme et les deux enfants, tout ça parce qu’il n’a pas encore de papiers ». Alors là encore, la vie peut basculer, on attend jusqu’à une heure de l’après-midi, et le juge est tout seul pour décider, et le juge le libère. Alors quelle joie vraiment pour ce jeune père, la maman, pour tout le monde ; il a été très frappé par toute cette solidarité, il y a de la solidarité avec ce foyer, tous ces gens qui viennent bénévolement d’un peu partout, qui les entourent, qui ne lâchent pas, qui vont chercher la maman pour qu’elle puisse venir, qui la raccompagnent. Bon, voilà, l’avenir est ouvert, il y a de belles choses qui se passent, et ces gens ont été marqués, on ne les abandonne pas.

 

Il y a aussi souvent des reconduites aux frontières ; pour reconduire aux frontières, il y a un certain nombre de barreaux d’arrêt, on ne peut pas renvoyer comme ça quelqu’un, heureusement on a des lois qui prévoient, il y a le tribunal administratif, bien sûr, qui peut dire oui ou non, il y a aussi le consul du pays en question, alors on va voir les consuls, il y a des consuls qui signent les laissez-passer facilement. Si le consul ne signe pas, l’intéressé ne peut pas prendre l’avion ; il faut que le consul reconnaisse qu’il est bien de ce pays, que ceci, que cela, … pour le renvoyer… Le consul du Mali et le consul de Tunisie signent facilement, mais il y avait des consuls qui étaient courageux, qui ne signaient pas, en particulier le consul du Sénégal à l’époque. À plusieurs, on insistaitet ces gens n’ont pas pu partir au Sénégal, ils sont restés comme ils le voulaient, en France. Et puis et puis dernier recours, si le consul signe, si le tribunal administratif est d’accord pour le retour, alors il reste l’avion qu’ils vont prendre.

 

On sait par exemple qu’il y a un avion qui part à 16 h de Roissy pour le Mali, Bamako, et alors il y a des associations de soutien qui vont à l’aéroport, je les ai accompagnées quelquefois, les CRS sont là, ils ne peuvent pas nous empêcher de parler aux gens, on donne un petit tract aux gens, « Vous allez prendre l’avion, n’oubliez pas qu’au fond de l’avion, au dernier moment, on va amener des Maliens menottés, scotchés, parce qu’ils ne veulent pas partir, alors résistez ». Alors il y en a qui écoutent attentivement, d’autres qui ne veulent pas, ceux qui écoutent disent : « Mais, comment résister ? » et bien « Ne vous assoyez pas ; des hôtesses vont dire, assoyez-vous, non vous résistez, vous restez debout et vous faites valoir que ces gens là n’ont pas à partir contre leur volonté, et puis si ça ne s’arrange pas vous demandez à voir le commandant de bord et le chef de l’avion ». Et alors ce jour là, on monte selon le scénario prévu, des Maliens scotchés, on les monte les pieds attachés, on les monte comme un paquet, on les met au fond de l’avion et les gens entendaient des gémissements, des protestations, et une femme, une bretonne, peut-être la soixantaine, elle a les cheveux blancs, grande, elle ne s’assoit pas, avec plusieurs, « Non, je ne m’assoirai pas, ceci est scandaleux, je ne veux pas aller au Mali avec des gens dans cette situation » et on lui dit : « Oui, oui, ça va s’arranger », « Non, je demande à voir le commandant ».

Le commandant arrive, il voit la situation, et le commandant exige de la police qu’ils fassent descendre ces Maliens attachés, et on les descend, mais la police demande à ce que cette femme qui a protesté descende aussi, il accepte ; et cette femme a été mise en garde à vue, et a eu un procès à Bobigny. Je suis allé au procès, il y avait beaucoup de monde, beaucoup de jeunes, même le commandant est venu en tenue pour la défendre, et cette femme a dit au juge, devant tout le monde : « Vous savez, je ne suis pas une militante, je n’ai jamais participé à des associations, mais ce que j’ai vu était insupportable, on ne traite pas des gens humains comme nous, comme vous l’avez fait, c’est indigne et si c’était à refaire je le referais, en conscience on ne peut pas accepter ».

 

C’est beau, oui c’est beau. Elle a été acquittée, elle a été relâchée. On l’a félicitée pour son courage, pour ce qu’elle a fait ; elle n’imaginait pas aller jusque là et faire ça, elle a été privée de son voyage et ce qu’elle avait prévu de faire, mais elle était contente d’avoir agi selon sa conscience pour des gens. Grâce un peu à son intervention et aussi à d’autres, ces jeunes sont restés à Paris. Et voyez, quelles que soient les limites qui nous enveloppent, il y a toujours le recours à la conscience. Aucune structure, aucune institution ne peut se substituer à notre conscience, en dernier ressort. Il s’agit de nous.

 

Je me trouvais à Amiens, pour de la solidarité avec des associations, et puis un prêtre d’Amiens m’avait demandé si j’acceptais de rencontrer une quarantaine de gens d’Amiens qui sont en responsabilité. Je ne peux pas refuser, alors je les écoute, et la discussion, je ne sais plus sur quoi ça portait, problèmes de société, familial, et quelqu’un a dit : « Mais sur cette question, le pape a dit que », alors une femme prend la parole et dit : « Écoutez,  j’aime savoir ce que les autorités religieuses ou civiles disent sur un problème qui est difficile, mais de toute façon, en dernier ressort, c’est moi qui décide et personne d’autre ». Moi j’étais en admiration, et après la réunion, je dis au prêtre aumônier : « Quelle est cette femme qui a fait une remarque si judicieuse » ; alors il me dit : « C’est la juge d’instruction d’Amiens ».

Très bien, voilà une bonne juge d’instruction, on a à tenir compte des uns et des autres, des lois qui décident, des autorités, mais en dernier ressort, nous, qu’est-ce que nous disons ? Dans des cas difficiles, on a besoin de s’éclairer quand il s’agit de nous.

 

Alors en conclusion, c’est plus une interrogation pour vous et vous en ferez ce que vous voudrez, je n’attends pas de réponse, il faut se dire, nous sommes engagés, nous faisons des actions, nous avons des responsabilités, et au fil des années, qu’est-ce que nous devenons ? Souvent quand il y a un partage on dit : « Moi je suis responsable de ça, je ferai ceci, moi je ferai cela », puis on partage les activités ; moi ce qui m’intéresse souvent, c’est qu’est-ce qu’on devient nous, à partir de ces activités. Est-ce que ça me rend plus humain ? Et si je suis croyant, est-ce que ma foi me rend plus humain ? Qu’est-ce que toutes ces activités, ces rencontres font de moi ? Est-ce que je suis plus disponible aux autres ? Est-ce que je deviens plus libre ? Il faut voir notre évolution de vie, ce que nous sommes devenus, sommes-nous devenus plus vivants ? Qu’est-ce que les autres font de moi ? On ne peut pas être constamment avec les autres et en particulier avec des gens en difficulté sans en être transformé.

 

Je participais l’autre jour à l’assemblée générale de la Chorba, association musulmane qui propose de la soupe le soir à 700 personnes. Les bénévoles ont beaucoup d’activités, et alors je leur disais : « Dans tout cela, voyez ce que vous devenez vous ». En particulier ils ont comme activité les maraudes la nuit, dans le 12e, je participe parfois à ces maraudes ; départ à 9 h du soir en voiture, et on revient vers 1 h, 2 h du matin et vraiment ce n’est pas inintéressant. Et il y avait parmi ces volontaires bénévoles, deux jeunes de polytechnique qui viennent depuis deux ans ; et bien ils sont transformés par cette activité des maraudes.

L’avenir est ouvert, le meilleur est à venir, et il faut se surprendre à grandir en humanité. Amen.

 

 

QUESTIONS / RÉPONSES

 


Pouvez-vous expliciter que la conscience peut se substituer à la loi ?

À propos de la réflexion de la juge d’instruction d’Amiens disant qu’en dernier ressort, elle décide avec sa conscience. Heureusement qu’il y a ça ; qu’est-ce qu’on deviendrait sinon, et très souvent on respecte les lois dans ce pays ; d’ailleurs toute formation, qu’elle soit familiale ou autre, nous invite à obéir, à dire oui ; on ne nous apprend pas tellement à dire non, si bien que les gens ne s’affranchiraient pas de la loi ; si on dit c’est comme ça, alors c’est comme ça ! Mais parfois dans la vie il faut dire non ; vous avez des cas célèbres, le cas du général de Gaulle ; il a transgressé pour le bien de la communauté, de la France. Il ne s’est pas trompé, il aurait pu se tromper, en tout cas il a fait ce choix. Il était condamné à mort par le gouvernement de Vichy, et il a fait ce choix, c’était courageux.

 

Malgré toutes les informations que l’on peut avoir, tandis que beaucoup de gens se sont soumis au gouvernement en place : c’est le gouvernement, on fait comme ça. Et il y en a quelques-uns qui ne se sont pas soumis, et sont morts pour ça, Jean Moulin, préfet de Charente ; il est rentré dans la résistance, etc., il a été arrêté, torturé. Donc il y a des résistants qui disent non à un moment donné, ils prennent le risque de se tromper, mais ils prennent ce risque. Alors rassurez-vous, il n’y en a pas beaucoup, il n’y a pas beaucoup de gens libres dans l’Institution comme dans l’Église. Les gens libres vivent suivant leurs convictions et pas selon leurs intérêts, et tant de gens vivent selon leurs intérêts ; et c’est tellement important d’être du côté du pouvoir, pour des tas de raisons. Vous savez, tant qu’on a peur, on n’est pas libre, et quand on est libre, ça fait peur, c’est curieux, non ? Les gens libres font peur, parce qu’ils empêchent de tourner en rond, parce qu’ils s’opposent à certaines choses. Dans une communauté, dans un groupe, ce n’est pas drôle d’avoir quelqu’un qui est libre, qui dit ce qu’il pense, etc. Regardez Jésus, l’homme de Nazareth, il a fait peur à tout le monde, par sa liberté, y compris à sa mère, à sa famille, à ses disciples, à la caste religieuse de Jérusalem, aux autorités, et à un moment donné il faut le faire taire. Heureusement dans l’Évangile on garde des expressions intéressantes : on dit que la famille de Jésus, le clan de Nazareth, vient voir Jésus pour essayer de le ramener un peu à la raison, car la famille disait, il a perdu la tête. Regardez ça dans l’Évangile !

 

Je me souviens qu’un jour, j’étais à Évreux, j’allais dire une fois la messe du matin à Trappani, chez les dominicaines. J’arrive chez les dominicaines en fin de matinée, et la sacristine me dit : « On s’est permis de changer l’Évangile parce que celui d’aujourd’hui, … » (rires). Je dis : « Laissez-moi cet Évangile, il est beau ». Il y a trois, quatre versets, où l’on disait : « Il a perdu la tête », c’est extraordinaire ! « Bon, alors si vous le voulez, je vous le garde ». On m’a gardé cet Évangile.

Donc la liberté et c’est bien qu’il y ait des gens qui soient éduqués à cette liberté. La liberté, on ne fait pas n’importe quoi, mais on essaye par rapport au bien commun, par rapport à sa conscience, par rapport aux informations qu’on a, on se dit je crois que c’est ça qu’il faudrait faire. Encore une fois, les situations ne sont pas noires ou blanches, elles sont ambigües…

 

Bien souvent j’ai été dans des situations difficiles. Je pense qu’un jour il y avait un jeune d’Évreux, vous êtes au courant, qui était parti en coopération, en Afrique du Sud pendant l’apartheid, comme professeur de français dans un lycée, et puis il s’est engagé un peu contre l’apartheid, il a été arrêté et emprisonné. La famille qui est à Évreux, ce sont des enseignants au lycée d’Évreux, ils constituent un comité de soutien, et ils essayent d’aller voir leur fils là-bas dont ils n’ont pas de nouvelles, et ils demandent à l’ambassade à Paris un visa, et ils ne l’obtiennent pas. Et ils se sont mis à l’idée que je pourrais demander le visa ; ils sont venus me trouver à l’évêché, je ne connaissais pas la famille, je ne connaissais pas le fils, et ils m’ont dit : « Peut-être que pour vous on donnerait un visa… ».

Si on ne le donne pas aux parents, ce n’est pas à moi qui ne suis pas de la famille qu’on donnera un visa. « Ah vous savez, il faut essayer, c’est tellement important pour nous », et je demande un visa, et manque de chance on me l’accorde, un visa de transit. C’est-à-dire que je pouvais aller là-bas uniquement pour aller dans cette prison, dans cette région perdue. Bon, et on me dit à l’ambassade vous avez un avion qui part tel jour, vous avez quelques heures pour réfléchir est-ce que vous êtes d’accord ou pas ?

 

J’avais ce jour là, à Évreux, le départ d’un train pour le pèlerinage de Lourdes. Le pèlerinage de Lourdes, c’est une institution dans un diocèse, il y a des malades, des jeunes, etc., il y a 1 400 personnes, et l’évêque préside pendant une semaine le pèlerinage à Lourdes,…, et il y a quelqu’un en prison en Afrique du Sud, que je ne connais pas… Que faut-il faire ? Et comme c’était juillet, le moment des vacances, je ne peux pas tellement demander conseil. Je pensais à la parabole de la brebis perdue, pour une petite brebis perdue, on laissait les 99 au village, et l’on part pour la brebis perdue. Donc j’accepte d’aller en Afrique du Sud, mais les chrétiens n’ont pas été contents du tout. « Le pape vous nomme pour les chrétiens, pas pour les communistes », la famille était communiste, ce qui n’arrange rien. « Vous n’êtes pas fait pour préférer les communistes aux chrétiens ». Alors je dis que j’ai pensé à la parabole de la brebis perdue. « Et qui vous dit qu’il est perdu ? Il est en prison, il l’a mérité ? Il fait son temps et il reviendra ».

 

Vous voyez ce n’est pas facile, beaucoup n’ont pas été contents du tout. Est-ce que j’ai bien fait ? Pas bien fait ? C’est ambigu. On essaye avec sa conscience de décider. Et si j’avais été au pèlerinage, d’autres auraient dit : « Il y a un prisonnier, … c’est une priorité évangélique ».

 

Dans la vie, il y a des situations comme ça ; regardez Abraham et son clan, ils doivent aller en Égypte parce que c’est la famine, la famine ; alors ils vont en Égypte, c’est le grenier à blé. Et Abraham se dit, « J’ai une femme qui est très belle », Sarah était une très belle femme. Il se dit, « Une fois que je serais arrivé en Égypte, on va me piquer ma femme, les officiers vont me la prendre, et moi ils vont me tuer pour qu’ils n’aient pas d’ennui ». Alors Abraham tient à sa vie, et il ne connaît pas beaucoup de gens pour l’aider. Alors il réfléchit et se dit, je vais dire que Sarah n’est pas ma femme, c’est ma sœur, et comme ça ils me laisseront la vie sauve.

Alors il dit à Sarah, « Surtout, tu ne dis pas que tu es ma femme, tu es ma sœur, c’est bien compris ? » Ils passent la frontière, évidemment les officiers de Pharaon remarquent la beauté de Sarah, et ils disent à Pharaon, « Tu sais il y a une très belle femme, jamais vu une femme aussi belle ». Alors Pharaon dit, « Vous me l’amenez, vous me l’amenez tout de suite ». Alors on amène Sarah à la cour de Pharaon, elle devient la femme, une des femmes de Pharaon. Et Abraham, il va bien, c’est sa sœur qui est là-bas.

Mais voilà tout se sait, et voilà que Pharaon apprend que Sarah est la femme d’Abraham ; alors il joue au vertueux, « Tu ne te rends pas compte Abraham, j’ai pris ta femme, tu m’as menti, etc. », enfin il lui dit, « Il faut t’en aller, repars avec toute ta famille, je ne veux plus vous voir, repars avec Sarah ». Ils quittent l’Égypte, ça se passe bien, il est sain et sauf, mais il a menti Abraham quand même, c’est pourtant un patriarche et qu’est-ce que va dire Dieu ? Dieu ne lui dit rien, il ne fait pas de reproche, je crois qu’Abraham, dans cette situation, il a peut-être fait ce qu’il y avait de mieux à faire, il n’a pas trouvé d’autre solution, pour garder sa vie, pour garder le clan.

 

C’est là toute l’ambigüité de la vie, et c’est souvent dans les décisions qui sont à prendre, mais c’est sûr que le problème, ce n’est pas ceux qui obéissent à leur conscience, le problème c’est ceux qui n’obéissent pas à leur conscience.

Regardez, on passe beaucoup de films sur la guerre de 39/40, par rapport aux juifs en France. C’était la police, les gendarmes qui arrêtaient les gens, et la coopération française partout, dans nos préfectures ; on disait, c’est la loi, on applique la loi ; ils ont été formés comme ça, c’est terrible, c’est ça le problème, ceux qui ne suivent pas leur conscience et qui disent qu’ils se réfugient derrière la loi ; ça c’est dangereux, dans certaines occasions, parce que ils font que des gens vont mourir à cause de ça. Il faut savoir transgresser pour le bien de la communauté, dans certains cas ; ça ne se fait pas comme ça, on réfléchit, on prie, on demande conseil et enfin il faut se décider.

 

À la lecture de votre vie, comment voyez-vous votre évolution, vous sentez-vous plus vivant ?

Alors comment je vois l’évolution de ma vie ? C’est difficile, j’ai été beaucoup marqué par des événements. On peut dire que quand j’ai été prêtre en 61, cela fait 54 ans, je n’imaginais pas ce qui m’attendait, de même qu’aujourd’hui je n’imagine pas ce qui m’attend pour l’avenir, ce n’est pas mon problème ; et alors j’ai eu des ministères que je n’attendais pas, je suis allé ailleurs que mon diocèse qui était le diocèse de Langres, j’ai été envoyé à Reims pour un séminaire régional, j’étais envoyé à Paris… et puis finalement à Évreux.

Je crois que les événements nous permettent de nous engager, nous permettent souvent d’ouvrir les yeux sur des réalités qu’on ne connaissait pas ; chaque fois que j’ai été nommé quelque part, c’est une ouverture vraiment, c’est une bonne chose parfois de changer pour ne pas s’habituer, pour ne pas trop s’enraciner quelque part ; on est propulsé ailleurs et il faut partir, et quand j’ai dû quitter Évreux, je suis venu à Paris. Là j’ai eu un peuple nouveau, un peuple nombreux, et c’est une vie nouvelle qui commençait.

 

Aujourd’hui cela fait 20 ans, je crois que mon cœur s’est élargi, et j’ai eu beaucoup d’occasions d’aller un peu partout dans le monde, de faire des choses que je n’aurais jamais faites si j’étais resté à Évreux, et je crois aussi que ma foi a grandi. Il faut saisir les événements et essayer de rebondir, ils ont toujours quelque chose à nous apprendre, ce sont les maîtres de nos vies comme le disait Pascal. Les événements sont des signes qui nous provoquent, qui nous remuent, qui nous obligent à aller de l’avant et ça nous ouvre les yeux. Heureusement qu’il y a des événements dans notre vie, heureux ou malheureux, mais qui nous aident à aller de l’avant et qui nous empêchent de nous enfermer. Alors après 20 années de Parthénia, je remercie Rome de ce que j’ai vécu, vraiment.

 

Vous nous avez raconté l’histoire d’un juge qui en son âme et conscience, dans le secret de son cabinet, décide ou non de l’expulsion d’une personne. Il doit arriver que sûrement, des personnes de qualité aient une relecture des événements différente de la vôtre, et viennent donc à prendre des décisions contraires à ce que vous pensiez être le bien ou la justice. Arrivez-vous alors à ne pas lui coller l’étiquette du méchant, du salaud, comment vivez-vous les discours simplificateurs et violents des associations de défense qui mettent les gens dans des cases, les bons et les méchants ? Comment trouvez-vous la force à la manière des gens qui proposaient à Jésus de sanctionner la femme adultère, de ne pas jeter la première pierre ?

Vous faites allusion à ce que j’ai dit ce matin sur le tribunal administratif, qui est assez expéditif c’est vrai, c’est vite fait ; on a sept ou huit dossiers, il y a l’avocat de la partie civile, il y a l’avocat de l’intéressé, bon et puis le juge vers midi donne sa situation. Écoutez, la justice c’est la justice, on accepte, que voulez-vous, il y a bien des gens qui ont été au tribunal administratif et n’ont pas été libérés, ils ont été condamnés, c’est comme ça, on peut le regretter, mais c’est la justice. Je pense à un prisonnier que vous connaissez peut-être, Yvan Colonna.

J’étais à ses procès, je le vois à la prison, un premier procès où il a été condamné, il y en a eu un deuxième car ils ont fait appel, il a été condamné, ils ont fait appel à la cassation ; la cassation a dit les procédures ont été respectées, etc. et donc ils ont fait appel à la cour européenne des droits de l’homme, cela fait bientôt deux ans ; la cour européenne a retenu le dossier, c’est déjà une sélection importante car ils ont beaucoup, beaucoup de dossiers, donc ils trient les dossiers et ils ont gardé entre autres celui d’Yvan Colonna, et les avocats sont chargés de dire ce qui ne va pas selon eux dans les procédures ; alors je crois qu’ils ont donné quatre ou cinq raisons et la cour européenne en a gardé un, c’est-à-dire qu’on n’a pas respecté la présomption d’innocence ; alors la cour européenne va voir si effectivement ou pas on a préservé cette présomption d’innocence ; s’ils voient que cela n’a pas été respecté, alors ils cassent les jugements pour la France et Yvan Colonna redevient un citoyen libre en vue d’être jugé à nouveau.

 

Alors à la justice, on est bien obligé de s’en remettre, on peut faire appel, mais c’est une décision de justice. Évidemment il y a des fois où l’on est content, des fois où l’on n’est pas content, mais on ne peut pas dire qu’il y a des bons d’un côté, des méchants etc. Dans des manifestations, on voit « police partout, justice nulle part », je crois qu’on a une justice, on est dans un état de droit, on respecte la justice, même si certaines fois on n’est pas content ; on n’a pas à en vouloir aux autres et on se soumet.

 

Êtes-vous un évêque trop humain pour révéler Dieu ?

Est-ce que je suis trop humain pour révéler Dieu ?

C’est difficile à dire pour moi, je crois que l’Évangile donne une bonne humanité ; mais ce qui est difficile c’est de voir que, à travers notre humanité, un témoignage doit passer. Jésus effectivement était très humain avec les gens qu’il a rencontrés, il les a écoutés, respectés, accueillis. Il était patient, quand il devait aller à tel endroit, il y avait toujours des gens qui intervenaient sur la route, qui l’arrêtaient, viens chez moi, il se donnait à tous, il s’est montré très humain. À Béthanie, avec Marthe et Marie et Lazare, avec la Samaritaine, il est dans un dialogue où chacun est de plain-pied. Donc je crois que le témoignage d’un croyant, le B A BA d’être humain, c’est fondamental. Effectivement les gens peuvent s’arrêter au plan humain, ça c’est leur affaire, leur décision, mais l’humain d’abord. Je crois que quand il y a des relations humaines vraies, avec des gens, il y a quelque chose qui passe, à travers des rencontres, de beaux dialogues, qui ne sont pas prévus d’avance, qui sont très porteurs.

 

Je vais quelquefois dans les prisons ; je suis allé à Lannemezan, dans les Pyrénées, voir des prisonniers là-bas ; alors il y a un jeune basque, avec une sclérose en plaques, père de deux enfants, du pays basque espagnol, parlant bien français, en prison depuis dix ans. Et on demande sa libération pour cause humanitaire, pour pouvoir se soigner, avoir un régime, et cela fait au moins la troisième fois, le tribunal refuse. Et le voir en prison, normalement c’est quarante minutes, et bien le temps ne passe pas tellement c’est intéressant de se retrouver, de parler, d’être humain.

Un jour je revenais rue Lhomond, à table je dis : « Tiens aujourd’hui j’ai été voir un détenu à Fresnes » et quelqu’un dit : « Qu’est-ce qu’il a fait ? ». Je dis que je ne pose jamais la question, cela ne m’intéresse pas ; un autre demande : « Est-il catholique ? », je ne sais pas, il ne me l’a pas dit, je ne lui ai pas demandé alors un troisième dit : « Alors de quoi avez-vous parlé ? ».Alors j’ai dit : « J’ai écouté cet homme qui avait une souffrance à partager ». C’est d’abord le plan humain qui est important, il faut d’abord qu’il ait confiance, c’est un être humain comme nous, il ne faut pas désespérer de lui. Je crois que d’être humain c’est important, le tout est de savoir si des gens ne s’arrêtent pas à cet aspect ; il y a en nous plus grand que nous, Dieu est plus grand que nous, il ne faut pas avoir peur de quelque chose de plus. On peut s’ouvrir à l’aspect humain, on peut refuser l’aspect divin, ceux qui sont croyants, qui ont ceci ou cela ; il n’y a pas que ce qu’on voit, il faut dépasser, ne pas juger sur les apparences.

 

Évidemment Jésus n’a pas voulu copier Jean-Baptiste ; pourtant Jésus a été passionné, fasciné par Jean-Baptiste ; il a passé quelque temps près du Jourdain, Jean-Baptiste qui a suscité un grand mouvement de conversion pour tout le peuple. Tout le monde venait à lui, sauf les gens de Jérusalem, les grands prêtres ; les prêtres ne sont pas venus, ils ont envoyé des gens au Jourdain pour demander à Jean-Baptiste « Qui es-tu ? ». Alors Jean-Baptiste dit toujours non, je ne suis pas ça, je ne suis pas le prophète, je ne suis pas le Messie, alors ils disent : « Mais enfin dis-nous qui tu es, on doit donner une réponse au grand prêtre ». Alors Jean-Baptiste dit : « Je suis simplement celui qui prépare les chemins du Seigneur ». Je ne sais pas ce qu’ils en ont pensé à Jérusalem, mais Jésus a beaucoup aimé la manière dont Jean-Baptiste  s’y prenait , tout en étant défiant par rapport au temple, à la caste religieuse ; normalement Jean-Baptiste  aurait dû être prêtre comme son père, d’une famille sacerdotale, il avait du tempérament. Alors Jean-Baptiste est décapité, et Jésus ne prend pas le relais de Jean-Baptiste, il prend un autre chemin, il étonnera encore beaucoup. Jésus, sa pastorale, il est invité chez des gens, jamais Jean-Baptiste n’aurait été manger chez des gens, il n’aurait jamais accepté un mariage à Cana comme l’a fait Jésus. Voilà la grande humanité de Jésus, ce n’est pas l’ascète, ce n’est pas l’homme du désert,c’est le visage humain de Dieu, c’est ça qui est difficile.

 

Il y avait 1 200 tentes rue de la Banque? Elles pouvaient être 120, 1 200 000 dans six mois, que proposeriez-vous au gouvernement de faire ?

Vous avez brossé des tableaux de situations dans lesquelles vous avez été acteur ; la société actuelle nous montre que ces situations ne sont pas singulières, mais à l’échelle de notre pays, comment voyez-vous les choses ? Il y a un changement d’échelle ; comment transposez-vous une action individuelle à une situation qui intéresse tout notre pays ?

Alors il y a plusieurs questions, j’ai cité des exemples sur le terrain, mais sur le plan collectif ? C’est bien joli de faire des gouttes d’eau…

Je crois qu’il est important de ne pas être seul, c’est-à-dire d’appartenir à une association, à un groupe, à un mouvement, que sais-je, etc. Moi pour les sans papiers je suis président de l’association Droits Devant depuis vingt ans, j’ai été avec Schwartzenberg, j’ai été avec Jacquard, pour cette grosse association de Paris, et puis je suis au DAL, quand ils m’invitent je viens, et pour les prisons… Voyez, il y a un avantage d’être ensemble, parce que dans une association, on n’est pas fatigués en même temps, il y a des gens qui en ont marre, qui veulent arrêter, qui veulent poser leur sac, il y en a qui sont battants, qui veulent faire ceci... Voyez il y a une variété dans un groupe, je ne sais pas comment ça se passe chez les Pingouins, on se stimule, et puis surtout dans les assemblées générales, on peut revoir, on peut faire … c’est très important. Il y a un proverbe africain qui dit « quand on est tout seul ça va plus vite, quand on est ensemble on va plus loin ».

 

C’est vrai, on se dit souvent que tout seul on va plus vite, mais à plusieurs on a bien des aspects qui nous sont donnés et on va plus loin, c’est plus sûr, donc il faut d’abord s’interroger. Il y a dans la vie, du tout venant, des gens qu’on ne choisit pas, et on ne peut pas dire je suis occupé ; je suis dans l’association, je suis là, il y a des gens qui frappent à votre porte, il y a des gens que vous rencontrez dans la rue, c’est la vie ; il faut aussi accepter de rejoindre des gens qui profitent de vous parce que vous êtes là à un moment donné, il faut les écouter, ne pas les rejeter.

 

Je me souviens que le savant du désert, Théodore Monod, au mois d’août, vers le 6 août, pensant à Hiroshima, il y avait toujours une rencontre, de jeûne, de prière… et il y avait là-bas la maison de (je ne me souviens plus du nom) et à 17h on allait vers l’usine atomique, et on voit tout le monde, des généraux, des colonels, des gens importants, et alors on se mettait devant, on était une trentaine, Théodore avait un grand écriteau qui lui tombait jusqu’aux pieds, il avait écrit : « la préparation d’un crime est un crime ». Et alors on était au soleil, il faisait chaud, et les gens qui passaient nous ignoraient totalement, ils passaient devant nous comme si on n’existait pas. Alors je ne peux pas m’empêcher de dire à Théodore : « Je trouve qu’on a l’air un peu ridicule », il me dit : « Le peu de choses qu’on peut faire, il faut le faire » et il ajoute « mais sans illusion », c’est une parole de sagesse, c’est vrai.

 

Comment trouvez-vous votre place dans l’évolution de l’Église aujourd’hui ? À quel changement, à quelle conversion la sentez-vous appelée à la vie ? Et ne vous sentez-vous pas une goutte d’eau dans la mer ?

Quand on disait à mère Teresa, ce que vous faites c’est bien, mais ça ne va pas changer le monde ? Elle disait : « Je n’ai pas cette prétention », mais « Ce sont des gouttes d’eau dans la mer », « Oui, c’est vrai, mais l’océan est composé de gouttes d’eau vous savez » et donc que chacun fasse ce qu’il a à faire, là où il est, au moment où il est. Il y a aussi des rencontres au plan français, on travaille beaucoup avec les syndicats à Paris, il n’y a pas que les associations avec qui on travaille la main dans la main. Par exemple en ce moment, il y a des sans papiers qui travaillent, ils travaillent au noir, et bien on fait le forcing auprès du ministère de l’Intérieur, pour dire ce n’est pas normal, que des gens qui travaillent n’aient pas un titre de séjour, ils cotisent et on les exploite souvent. Pour ça, il faut qu’il y ait des syndicats aussi, il y a la CGT, la CFDT, FO, il y a des rencontres, le collectif est important et quand il y a des réunions, on est facilement 800 ; donc il y a des choses où on est tout seul, et des choses que l’on fait collectivement, mais il ne faut pas que cela nous dispense d’agir.

 

Il y a une accélération de la pauvreté, les gouttes d’eau ne sont pas suffisantes, vous sur le terrain, que voyez-vous apparaître pour une action plus puissante à influencer les choix que nous pourrions faire nous-mêmes ?

Accélération de la pauvreté, oui je serais tenté de le dire, au plan du logement en particulier, il y a davantage de gens à la rue, davantage de sans papiers, des vagues de jeunes qui arrivent, de jeunes afghans, de jeunes syriens ; ce sont des mineurs, ils n’ont rien, ils sont arrivés après bien des tribulations et des obstacles, et il faut prouver qu’ils n’ont pas 18 ans, ce n’est pas simple ; il y a un organisme qui est chargé de ça, mais il n’en reconnaît pas beaucoup. Pour dire qu’il y a une chaîne de solidarité qui se crée, c’est incroyable, sur le terrain ; par exemple, à partir du mois de février dernier, boulevard de la Villette, sous le métro aérien, c’est là qu’on a mis des tentes rouges, et puis le dimanche disons vers 15 h, on se retrouvait, on servait du café, du thé, on parlait avec eux, il y avait de la musique, des prises de parole, et alors cela frappait les gens qui arrivaient ; il y avait une femme dans une voiture qui arrive, « Quelqu’un peut m’aider ? Est-ce que deux jeunes afghans peuvent venir ? J’ai deux gros sacs pour eux, de nourriture, de fruits… ». Elle avait entendu à la radio qu’il y avait quelque chose, elle est venue ; et puis il y a quelqu’un d’autre qui est arrivé en voiture avec un sac de vêtements. Ils étaient bien acceptés parce qu’il faisait froid, il y avait des bonnets, des gants… d’autres amenaient du thé, du café, des provisions, les gens sont généreux.

 

Pour le logement aussi, il y a des familles qui accueillent, ça s’organise, il y a de la solidarité, mais il faut qu’on atteigne le droit, on essaye de subsister… Souvent dans les manifestations il y a des banderoles de syndicats disant, on ne veut pas la charité, on veut la justice. La justice, c’est le respect des droits, tandis que la charité ça va aux effetsde la misère, mais pas aux causes, la justice peut aller aux causes. C’est Victor Hugo qui avait dit : « On fait la charité quand on n’a pas su imposer la justice ».

 

Il y a davantage de pauvreté, mais il y a davantage de citoyens qui font des choses, par exemple les maraudes. Il y en a régulièrement sur Paris, un bataillon qui s’en va comme ça, et c’est quand même intéressant ; il faut garder espoir ; on voit que ça patine au plan français, au plan européen on a souvent plus le respect des frontières que le respect des vivants. Et maintenant, bonne route !

 

Vous nous avez expliqué que pour certains individus, pour tenir, il y avait derrière, un secret. Quel est votre secret ?

Et bien dites donc ! Un jour je me trouvais dans le métro à une heure de pointe, vers 18h30 ce n’est pas très bon, et il y avait tellement de monde que j’étais debout sans pouvoir trouver un point d’appui avec ma main, et selon les secousses du métro, je me posais sur les uns, sur les autres, et quelqu’un qui m’avait identifiés’amusait de ma situation précaire, alors comme nous sommes descendus à la même station, je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire : « Voyez, ce qui fait tenir debout un évêque ce sont les gens », oui c’est vrai, heureusement que les gens sont là, on est environné comme ça.

 

Un jour je devais aller à Montreuil, et il faisait bon vraiment en partant, arrivé à Montreuil il pleuvait à verse, mais à verse vraiment ; alors je me précipite sous une porte cochère en attendant que les cieux soient plus cléments ; et voici qu’un homme s’approche de moi et me dit : « Voulez-vous mon imperméable ? », « Oh ! écoutez, je suis très touché de votre geste, mais vous en avez besoin autant que moi ». Je ne sais pas comment saint Martin a fait pour partager son manteau, mais un imperméable ça ne se partage pas ; alors on échange quelques paroles, j’apprends que cet homme est juif, et il poursuit son chemin avec son imperméable ; une minute se passe, une femme s’approche de moi avec son parapluie et elle me dit : « Venez sous mon parapluie », là je n’ai pas hésité, on peut être deux sous un parapluie ; alors me voici au bras de cette femme, on se serait bien les coudes car il pleuvait toujours à verse, elle me dit : « Je vous amène où vous voulez aller » ; chemin faisant, elle me dit : « Vous savez, celle qui porte ce parapluie c’est une musulmane » ; je me disais en moi même belle promenade œcuménique dès le matin, un juif, une musulmane, la journée sera belle ; elle m’a amené là où je devais aller, vraiment je la remercie encore.

Vous voyez les gens, on a besoin d’eux, j’avais bien fait de ne pas prendre l’imperméable, mais le parapluie ; quand on a ce qu’il faut, on n’a pas besoin des autres, quand on est en manque, on est bien content d’être aidé ; il vaut mieux partir pauvrement comme le dit Jésus dans l’Évangile, le minimum, et si on a besoin de quelque chose, on le demandera, il faut accepter d’être aidé par les autres et non pas se suffire à soi-même. Ça c’est vrai aussi pour les églises, si une église à ce qu’il faut, pas seulement pour vivre, mais si elle dit : « J’ai la vérité », ce n’est pas la peine de perdre son temps, de dialoguer, on a la vérité ; si on a ce qu’il faut, on n’a pas besoin des autres. Alors il faut penser qu’on est en manque, on ne pourra pas s’en sortir sans eux. Alors quel est mon secret ? Dieu présent en moi, la demeure de Dieu, il ne me quitte pas, il est là.

 

Il y a deux ou trois ans, un éditeur m’a demandé de dire ce que j’aurais envie de dire à des jeunes, je renâclai un peu, que des anciens disent quelque chose aux jeunes vraiment, 33 000 signes, 33 000 signes ce n’est pas exagéré, ce n’est pas un gros livre ; alors je me suis mis au travail, et pour moi il me faut des visages pour parler, alors j’ai pensé à Nicolas. Nicolas, je l’avais rencontré par hasard au carrefour social européen, à Saint-Denis et c’était fort intéressant ; j’ai été un jour à côté de ce jeune Nicolas qui avait 18 ans, qui était pour la première fois à Paris, il venait de Lyon, étudiant en sociologie, et au fond, on a bien échangé, bien discuté, on est resté un peu en lien, un jour il est venu à Paris voir sa copine, il m’a dit bien je…voilà, il n’est pas croyant. Et je me dis je vais parler à Nicolas, qu’est-ce que j’aurais à dire à Nicolas ? Alors je parle un peu de lui…dans la dernière partie, je voulais dire un peu mon secret, oui à savoir qu’en nous il y a plus grand que nous, et qu’il y a une demeure de Dieu en nous, un peu comme le trésor que quelqu’un découvre dans un champ, personne ne savait que c’était là, mais ça existe, et quand on découvre ce trésor, c’est la joie, on peut vendre tout ce qu’on a pour garder ce trésor ; alors cette parabole nous dit que nous avons un trésor caché en nous et qu’il faut le découvrir, cette présence de Dieu.

 

Saint Augustin disait : « Tard Seigneur, je t’ai rencontré, tu étais au dedans de moi, mais moi j’étais au dehors ; tu étais au plus intime de moi-même et moi j’étais à l’extérieur ; tu étais en moi, mais c’est moi qui ne l’étais pas », découverte de passer du dehors au dedans, pèlerinage intérieur qui est plus difficile que tous les autres. Alors j’essaye de dire ça dans les deux dernières pages, puis j’ai envoyé l’épreuve à Nicolas en disant, je parle de toi, est-ce que … ? Il était surpris que j’écrive ce petit livret en pensant à lui, il était content. Oui, pour dire que cette présence de Dieu en nous, c’est vraiment une belle chose ; en dehors de tout ce qu’on peut faire, de tout ce qu’on peut vivre, il y a cette présence, Dieu qui donne sa paix, qui donne sa joie. Celui qui demeure en moi, demeurez dans mon amour. C’est mon secret. En général les journalistes ne s’intéressent jamais à l’intériorité, ils ne m’ont jamais demandé mon secret, mais c’est peut-être à cause de moi, je vous ai mis sur la piste.

 

Il est l’heure, certains doivent partir, je n’ai pas forcément répondu à toutes les questions. Si vous avez encore quelque chose pour terminer ?

P - Moi, j’ai une petite histoire qui circule comme ça qui circule. C’est Dieu quand il créa l’homme et la femme, il dit je vais enfermer l’espoir, un trésor. Alors il dit où vais-je planquer ce trésor. Dans la mer ? Ils vont aller le chercher, dans la terre, ils vont creuser, dans le ciel…finalement il dit je vais le mettre à l’intérieur d’eux-mêmes, et là ils seront bien obligés de le trouver.

 

C’est vrai que le lieu du cœur c’est tout à fait important, c’est le lieu de la prière, de la présence de Dieu ; il faut garder ce cœur ouvert, simple.

Je termine par une petite histoire, j’étais à Francfort en Allemagne, plusieurs jours, et un soir, les petites sœurs du père de Foucault m’invitent à venir chez elles, pour l’Eucharistie, le repas puis un échange ; elles étaient dix, douze, fort agréables. À un moment donné je dis : « Mes sœurs, il faut que je vous quitte, est-ce que, avant de partir vous pouvez me laisser une parole que je garderai en souvenir de cette bonne soirée ». Alors il y a une sœur âgée, très âgée qui lève le doigt, elle était très ridée comme une vieille pomme normande ; alors avec ses petits yeux elle dit : « Que votre cœur ne s’aigrisse jamais ». C’est beau, car effectivement on peut se fermer comme une huître ; moi j’ai connu des gens qui étaient généreux, solidaires pour donner aux autres, et je ne sais pas ce qui s’est passé, il y a eu un événement difficile, ils se sont rétractés. L’amour peut disparaître, il faut veiller sur son cœur pour qu’il ne s’aigrisse pas, alors, que votre cœur soit généreux ! Qu’il ne s’aigrisse pas ! En vous voyant je ne suis pas inquiet, le meilleur est à venir.

 

P - Une autre histoire. Dans un musée il y a un tableau, le Christ était à l’intérieur de la maison avec les apôtres. Et il y a une porte qui donne sur la rue ; la personne qui le montre aux gens dit : « Comment voyez-vous ce tableau ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose qui vous choque ? » Quelqu’un dit : « À l’extérieur, il n’y a pas de loquet pour ouvrir », alors il dit : « C’est à vous d’ouvrir la porte de l’intérieur, pour communiquer avec le Christ ».