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L’ÉTRANGER ET MOI
L’interpénétration des cultures comme chemin de fraternité et de paix.
Tournay, 19 mars 2016
9 présents
Dans le compte-rendu de notre rencontre à Luzech, deux points m’ont interpellé : d’un côté, « Je me sens à l’aise à l’étranger et je m’adapte très facilement » ; d’un autre côté, « Face à l’étranger, je suis gêné ».
Personnellement, j’ai vécu les deux choses. En Malaisie, je me suis trouvé très à l’aise facilement. Il y a des quartiers ici où je me sens mal à l’aise, et où je dois faire un gros effort pour me comporter naturellement. Ça dépend des cultures. Je lisais dans La Vie un article sur une famille allemande qui a accueilli chez elle un couple de Syriens. Ces gens voulaient arriver à cette fraternité, et ça s’était avéré très difficile. Il fallait tout partager dans la maison, et il y avait des éléments de culture sur lesquelles ils ne savaient pas comment faire. Ils en sont arrivés à alterner la préparation des repas entre les deux familles. Il y avait aussi des problèmes de relations homme / femme.
Cette semaine, on était chez des amis. On a abordé le sujet des étrangers, et ça a failli être violent ; il a vite fallu changer de sujet. Autour de nous, quand on affirme son esprit d’ouverture, on se sent un peu seul.
Nous avons l’habitude d’accueillir, et nous ne choisissons pas les gens qui arrivent à la maison. On bavardait avec un voisin et ami qui disait : « Tous ces émigrés, on ferait mieux de les renvoyer chez eux ». Je leur disais que, à l’hôpital, je suis bien contente d’être soignée par des soignants immigrés. De même, je lui faisais remarquer qu’il appréciait de prendre l’apéritif avec ses voisins allemands. Sa réponse : « Oui, mais ce n’est pas pareil ».
Qui est étranger ? La première personne à qui je suis étrangère, c’est moi-même. Or, je ne peux me connaître moi-même que si un autre me renvoie qui je suis. Il faut donc que je sois accueillante à l’autre. Si je ferme ma porte, c’est parce que j’ai peur de quoi ? Ce n’est pas de l’autre dont j’ai peur, mais de quelque chose en moi. Si je n’ose pas le pas de la confiance en ouvrant la porte, je ne vais pas pouvoir vivre une relation.
Quand on parle d’étranger, on pense tout de suite : « Qu’est-ce qu’il a de différent de moi ? » Dans le cadre du bénévolat, je donne des cours de français à des étrangers. Dès qu’on peut parler un peu, j’essaie de mettre la conversation sur ce qu’on a de commun. À partir de là, on traite plus facilement ce qui peut nous séparer. On peut évoquer avec les mamans ce qu’elles vivent avec leurs bébés, avec leurs adolescents… Avec une Marocaine, parler de sa religion musulmane, répondre aux questions qu’elle me pose sur ma religion chrétienne. On peut parler parce qu’on commence à se connaître. On n’est pas là pour changer les idées de l’autre. On vit une évolution réciproque des idées. On peut se parler calmement. Regarder d’abord ce qu’on a en commun, avant de travailler sur ce qui sépare. Il n’y a pas besoin de venir de loin pour être étranger. C’est par les petits gestes du quotidien qu’on peut gommer les différences.
Je trouve que c’est très difficile de parler de l’étranger, puisque, par définition, c’est quelqu’un que je ne connais pas et que je ne comprends pas. Pour passer de la situation d’étranger à une situation autre, ça va nécessiter de le connaître et de le comprendre, ce qui nécessite d’admettre la différence, en particulier au niveau du système de pensée. Imaginons que nous soyons venus ici avec un ami. Pour vous, il est étranger. S’il ne dit rien, s’il ne fait rien, il demeure étranger. La seule façon qu’il quitte ce statut d’étranger est qu’il s’exprime, qu’il dise ce qu’il est. On peut être étranger à soi-même.
Est-ce qu’on a besoin de l’étranger ? J’arrive à la conclusion que oui. En effet, tant que je ne me confronte pas à quelqu’un qui vit autrement, je ne me remets pas en cause. Donc, l’étranger m’aide à grandir. Il y a des gens qui sont bien dans leur système, qui ne voient pas l’intérêt de se remettre en cause. Ces gens-là s’étiolent. Il y a des gens que je croise dans la rue et dont l’aspect me dérange ; j’ai l’impression qu’ils sont limités, qu’ils se sentent détenteurs de la vérité. Un ancien collègue me disait que le musulman est un être soumis, alors que le chrétien est un être libéré. Il y a donc des mécanismes de fond qui rendent le dialogue difficile. Je ne suis pas prêt à entrer dans un système qui me dit que je n’ai pas de liberté. Il y a quand même des systèmes qui ne sont pas faits pour s’entendre. Ces gens-là restent des étrangers pour moi.
Je m’aperçois que, si je vis bien, c’est parce que les autres vivent mal. Les autres, ce sont les étrangers ! Les politiques, c’est bien, mais à chacun de se remonter les manches pour accueillir les immigrés. Le fait de l’étranger est une énorme question.
En résumé, l’étranger m’est indispensable. L’une des clefs est d’admettre que l’autre peut penser autrement que moi et que je ne détiens pas la vérité. Il faut s’accorder.
Y a-t-il de l’universel ? Cette idée d’interculturel est bien gentille, mais elle risque de niveler toutes les différences et on n’est pas fait pour ça.
Plus ça ira, plus il y aura un mélange, mais il y a quand même de sacrées réticences.
J’ai lu, il y a longtemps, L’étranger de Camus. C’est très parlant.
Je vais commencer par un témoignage. Je viens de passer quelques jours avec un groupe de personnes en réinsertion, dont plusieurs Africains. J’ai, en particulier, parlé avec une jeune Rwandaise, prénommée Illuminée. Elle a fui le Rwanda avec son mari et son fils. Je ne sais pas exactement comment, mais elle a réussi à prendre un avion, en laissant son mari et son fils qui devaient prendre un bateau. Depuis, elle n’a aucune nouvelle d’eux : elle ne sait pas où ils sont, ni s’ils sont encore vivants. De même, nous avons rencontré une jeune congolaise prénommée Jurose (parce que ses deux grands-mères d’appelaient Juliette et Rose-Marie). Son mari a été assassiné par l’armée parce qu’il était opposant au régime.
Un ami de son mari lui a conseillé de confier ses deux enfants à sa sœur et lui a fait prendre le premier avion pour la France, en lui disant qu’elle risquait, elle aussi, d’être assassinée. En fait, elle n’a pas compris comment elle a pu arriver en France, sans visa, sans papier, et sans être inquiétée par aucun contrôle. Par recoupement, nous pensons qu’il s’agissait d’un réseau de prostitution, ce qui semble prouver que ces gens-là ont le moyen de faire passer les gens au travers des contrôles. Par chance, suite à un retard de TGV, elle a pu être récupérée par la pastorale des migrants à Besançon. Elle a pu avoir des nouvelles de ses enfants (des jumeaux de trois ans, garçon et fille, prénommés Béni et Louange). Le petit Béni est mort du paludisme.
Parler des « migrants », c’est bien, mais rencontrer des personnes, qui ont une histoire personnelle, c’est autre chose. Chaque personne est un cas particulier.
L’étranger, c’est celui qui n’est pas comme moi. L’autre me dit qui je suis.
Le plus étranger, c’est Dieu. J’ai envie de le faire à mon image. C’est vrai aussi de tout être humain. L’autre réveille en moi qui je suis vraiment. L’étranger est celui que je n’arrive pas à comprendre, avec lequel je n’arrive pas à entrer en relation. Par exemple, les gens qui votent pour le Front National, qui veulent renvoyer tous les étrangers chez eux, me sont totalement étrangers : je ne peux pas les comprendre.
L’étranger, c’est la personne que je ne connais pas. C’est le proche, le voisin, la personne que je suis obligée de rencontrer pour une raison ou une autre sans l’avoir choisi. J’essaie de régler ça par la discussion, en cherchant un sujet sur lequel on puisse trouver un terrain d’entente. Il faut s’apprivoiser. On a tout à y gagner à aller vers l’autre, vers l’étranger. On a une belle-fille étrangère. Ce mot-là la met dans une boîte, et ça me gêne beaucoup. Malgré tous les efforts qu’on peut faire, ce n’est pas facile. Il faut beaucoup de délicatesse pour vivre avec quelqu’un de culture différente. Il faut trouver des sujets sur lesquels on peut échanger.
À un deuxième niveau, il y a le contact avec une population dont on a l’impression qu’ils veulent nous imposer une façon de vivre. Quand je me trouve dans les transports en commun face à une statue noire dont je ne vois que les yeux, je suis très mal à l’aise. De même pour les jeunes hommes qui sont dans une tenue « autre » et qui font preuve d’une grande désinvolture. Ce sont des choses que je n’arrive pas à admettre. Il y a aussi des personnes qui mendient dans la rue. On ne peut pas aider tout le monde.
Quant aux réfugiés, c’est très questionnant : pourquoi sont-ils là ? Est-il bon de les aider ? Pourrions-nous en accueillir chez nous ? C’est difficile. Il nous est arrivé d’accueillir une famille avec quatre enfants parce qu’ils ont eu une brutale coupure de chauffage au début du week-end. Ça s’est bien passé, parce que tout le monde y a mis du sien. Que peut-on faire ? À Calais, il y a énormément de gens qui s’occupent des réfugiés, vont leur porter à manger, etc. Je suis sans doute un peu « nyaka », mais ça me fait réfléchir.
Je suis allée à la mairie pour avoir des informations concernant l’accueil des réfugiés. J’ai eu beaucoup de mal à obtenir les informations. J’ai fini par avoir un numéro vert sur Toulouse destiné à recenser les bonnes volontés, mais on m’a prévenue qu’il n’y avait personne au bout du fil, et aussi qu’il n’y a pas de demande de réfugiés sur Toulouse. On m’a aussi fait comprendre qu’il y avait assez de travail avec « nos pauvres » sans aller s’occuper des autres.
Quand on accueille un enfant, au départ, c’est un étranger.
Si c’était moi qui devais tout quitter pour partir à l’étranger, est-ce que je serais prête à modifier ma façon de me vêtir, ma religion, à m’adapter à ce nouveau pays ? Surtout si on arrive nombreux. Si j’allais vivre en pays islamique, je serais totalement perdue. J’essaie de me poser dans l’autre sens. Je ne sais pas comment je réagirais. Je n’ai pas de réponse.
À Paris, j’ai visité le musée de l’émigration. J’ai été frappée par les murs, partout dans le monde et à toutes les époques, pour éviter les invasions, les migrations.
On a l’impression qu’on ne sait plus comment faire, parce que, depuis 70 ans, on vit en paix. On s’est endormi, on a ronronné dans notre petit confort, notre vie facile. On a maintenant le boomerang de tout ça.
Jean Volot nous avait annoncé que nous verrions tous les gens des pays du sud arriver chez nous. Nous devons apprendre à le vivre dans notre quotidien. Ça me pose problème. J’y pense très souvent.
Curieusement, en y réfléchissant, je suis parti du mot « communautarisme ». Jusqu’à son irruption récente, je portais en moi le concept de « communauté ». Pour moi, c’était une chose belle et riche. C’est le lieu où on partage quelque chose en commun. Je suis né dedans. C’est quelque chose qui a marqué ma vie. La communauté du village, la communauté chrétienne, la communauté française. Quand j’entends dire que les nouvelles générations sont marquées par l’individualisme, je me dis que ce n’était pas notre cas.
Ce mot « communautarisme » est venu tout gâcher dans ma construction. Il porte des relents de refus de l’autre, de repli sur soi. Est-ce le réflexe d’une minorité qui, parce que minoritaire, a le besoin de s’affirmer fortement, avec le danger de refuser l’autre ? Ce mot « communautarisme », je l’entends utiliser même pour l’église catholique. Il y a des gens autour de moi qui pensent que la religion est forcément l’opium du peuple, qui nous prive de l’acceptation de l’autre avec sa différence.
Ce mot est beaucoup utilisé dans les média. Je le sens aussi fortement au Pays basque, par rapport aux mouvements « basquisants » qui veulent réaffirmer une identité, avec le risque d’entraîner l’affirmation de l’exclusion de celui qui n’est pas comme moi.
Je me suis présenté aux élections municipales, dans un village où, depuis des décennies, il y avait une liste unique, et où brutalement il y avait trois listes. Le jour où on a présenté la liste aux média, les copains m’ont poussé à m’exprimer, et le journal titrait le lendemain « un abertzalisme (nationalisme) d’ouverture ». On n’a eu qu’un élu, mais on continue à travailler pour l’avenir. Je me rends compte à quel point il est nécessaire de faire prendre conscience que, s’il est nécessaire et légitime d’affirmer son identité, ça implique de reconnaître l’autre dans sa différence et de l’accepter différent. Tous ces mouvements comportent un risque d’exclusion, d’enfermement, de repli sur soi. Par exemple, lors de la vente de terrains ou de maisons, on entend dire : « On ne sera bientôt plus chez nous ».
Ça ne nous arrive jamais de rencontrer une femme voilée, ni un Africain.
Par moment, je me sens étranger dans mon église, surtout avec l’évêque qu’on a.
D’après un sondage de la semaine dernière, il y a 59 % des Français qui sont contre l’accueil des immigrés, parmi lesquels il doit y avoir pas mal de chrétiens. Mais il y a aussi de très nombreux gestes de solidarité et d’accueil.
J’avais 6 ans en 1940. On est parti de Dieppe pour fuir les Allemands avec mon grand-père, ma grand-mère, mes parents et frères et sœurs (4 adultes et 3 enfants). Au Havre, le bateau qui devait nous emmener en Angleterre a été bombardé par les Allemands. On a traversé la Seine sur un remorqueur et on est parti à pied. Sur la route, on a été arrêté par un couple qui nous a accueillis et donné de quoi nous coucher, de quoi manger. Le lendemain, on est reparti après un solide petit-déjeuner. À Caen, on était dans une école. On a pris un train pour la Bretagne où on a été accueilli dans une ferme. Dans mes souvenirs d’enfant, c’était pratiquement des vacances. Donc, le fait de partir, de n’avoir plus rien, je l’ai vécu enfant. On perçoit très bien l’angoisse des parents.
Notre belle-fille est issue d’une famille algérienne. Elle est adorable et a une haute teneur morale.
- Un étranger est une personne qui n’a pas la nationalité du pays où il se trouve au moment concerné (définition du dictionnaire).
À Luzech, ça a été un moment très difficile, parce qu’on était chez des étrangers.
J’ai eu la chance de voyager pas mal, mais pas en touriste. En immersion (au moins 50 jours). Je garde des souvenirs mémorables de mes voyages scientifiques en Côte d’Ivoire. Et pourtant, je ne suis pas prêt à y repartir, car c’est trop dangereux aujourd’hui. Même chose pour le Niger. Les missionnaires qui, comme moi, y avaient séjourné, en parlaient comme d’un paradis ! J’ai des souvenirs de moments extraordinaires, amicaux, fraternels… Aujourd’hui, c’est impossible. Il y a donc une évolution.
Des étrangers, on en a partout autour de nous. On s’attend à vivre une exception ! Dans mon village en Corrèze, il y a des retraités anglais qui ont acheté une maison. Il y a 8 ans qu’ils sont là ; il difficile de créer des liens, de leur parler ! Il n’y a aucune connexion possible ! Dans le même moment, une maison plus bas, une dame âgée, dépendante, qui avait l’habitude de passer des vacances à Cuba a proposé un job à un jeune cubain qu’elle a pris comme ouvrier, déclaré officiellement, etc. Très sympa. Là, la connexion est extrêmement rapide et simple.
Je fais des interventions dans des établissements scolaires. J’en fais une particulièrement difficile, mais le directeur de l’école est merveilleux. Mais à chaque fois ça me coûte. C’est l’école de la deuxième chance. Les élèves ont entre18 ans et 25 ans. Le niveau, c’est la classe de troisième ! Ils sont difficiles au niveau « émetteur-récepteur ». Ils sont tous différents. Je ne sais pas si ça leur plaît, si c’est à leur niveau (classe de sixième, comparaison avec une classe de sixième, ça ne se passe pas du tout comme ça). Quand, à la fin de l’intervention, je leur demande s’ils ont des questions, ils disparaissent comme une volée de moineaux.
En vieillissant, en voyant mieux la vie de tous les jours depuis que je suis en retraite, je découvre la réalité. Je découvre mon voisinage à la ville et je commence à échanger des « bonjours ». Par contre, je prends aussi conscience de l’augmentation de la mendicité et certains sont agressifs et cela me met mal à l’aise.
Tous les jours, on nous parle d’islam, d’état islamique, etc. Je fini par en avoir marre : je coupe la télé.
Je me rends compte que les Toulousains vivent dans un contexte très spécifique. En sortant de la gare Matabiau, je me suis fait quasiment agresser par une femme qui voulait de l’argent.
Dans la vie monastique, il y a le vœu de stabilité, par lequel on s’engage à vivre avec les mêmes frères toute la vie. Il y a des frères avec qui je suis depuis 45 ans.
Depuis 4 ou 5 ans, on a pas mal d’étrangers dans le monastère (4 Brésiliens, 3 Vietnamiens, 1 Malgache pour 11 Français, sans compter 1 Ukrainien de passage). Ça change le visage de la communauté.
En prenant de l’âge, je m’aperçois que l’étranger c’est d’abord moi. Est-ce qu’il n’y a pas en nous des terres plus ou moins ignorées ? La confrontation avec les autres peut me faire découvrir en moi des continents immergés.
De plus en plus, je constate que l’étranger c’est d’abord celui qui est le plus proche, celui avec qui je vis le plus quotidiennement, et dont les différences peuvent me faire souffrir. Je vis ces différences au quotidien ; elles sont toujours là après 45 ans. Dans une vie comme la nôtre, on découvre chaque jour combien les plus proches nous sont étrangers, par leurs origines, leurs tempéraments, leurs histoires, leurs structures mentales. On réagit très différemment, et aussi par notre génération. Je me rends compte combien je suis marqué par mai 68.
Aimer le voisin, devenir son frère, ce n’est pas du tout évident, parce qu’il est sans doute trop proche. Dans une communauté, on ne choisit pas le frère avec lequel on va vivre. Il y a autant de vocations monastiques que de moines. Les sensibilités se heurtent. L’étranger, pour moi, c’est d’abord le bonhomme avec lequel je vis.
Saint Benoît indique dans sa règle « les frères supporteront avec une grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales ». Dans la communauté, il y a toujours le frère qu’on a du mal à « encadrer ». Pour vivre en communauté, il faut donc accepter que l’autre ait une personnalité qui n’est pas la mienne. Nous ne sommes pas appelés à devenir des clones, ayant tous les mêmes idées, les mêmes sensibilités, les mêmes convictions. « S’honorer mutuellement avec prévenance » (st Benoît).
Les étrangers qui vivent avec nous sont des gens plutôt jeunes, qui viennent de l’hémisphère sud. Nous partageons la même humanité. Finalement, ces étrangers nous sont proches. Au-delà des différences de culture, etc. on a tous un fonds commun d’humanité. Ceci étant, je constate que cet apport d’étrangers est à la fois une source d’enrichissement et une source d’appauvrissement. Ils nous ont apporté une vitalité, une joie de vivre, que nous avons perdues dans notre vieille Europe. Il n’y a qu’à voir la vitalité de notre Pape. Il y a plus de liberté dans les relations, dans les rapports humains, les dialogues, les rencontres. Ils sont pour nous une source d’ouverture au monde, en particulier par Internet.
La confrontation à d’autres cultures dérange. Après leur départ du monastère, nous ne savons toujours pas ce qu’y ont vécu les Vietnamiens. Que pense en profondeur un Asiatique ? Il y a aussi le handicap formidable de la langue. C’est une très grande barrière.
En conclusion :
La venue d’étrangers suppose un parti pris d’accueil. On ne doit pas renoncer à qui on est, mais accepter d’être remis en cause. Je ne crois pas à une culture uniformisée. Je crois à des identités propres qui s’enrichissent mutuellement. Je croyais beaucoup à l’Europe. Je me sentais Européen avant d’être Français. Quand on voit la difficulté à marcher ensemble, je me demande si je n’ai pas été un peu naïf. On a besoin d’une culture propre.
Est-il possible de vivre ensemble, au plan d’une communauté, du pays,… sans prendre en compte la différence ? Le véritable problème n’est-il pas celui de la différence ? Comment faire en sorte que nos différences nous fassent grandir humainement et spirituellement ? Le visage de notre communauté est en train de changer à cause des étrangers. Ça passe aussi par une culture de la rencontre. Si on rencontre l’autre, quel qu’il soit, on court toujours le risque d’être déstabilisé, remis en question.
Quand on réfléchit à l’étranger, on parle d’altérité.
J’ai toujours vécu avec des étrangers. Je ne perçois pas le monde autrement qu’avec des étrangers. C’est en rencontrant d’autres personnes que je me suis rendu compte que ce n’était pas évident pour tout le monde. Cette habitude de côtoyer les étrangers me protège de la peur de l’autre. Je raisonne en termes de « nous », et jamais de « eux » et « moi ».
Il y a un commandant allemand qui avait été traumatisé d’avoir côtoyé les migrants en Méditerranée. Son armateur lui interdisait de les prendre à bord. Dès qu’il a été à la retraite, il a affrété un bateau, grâce à des dons, pour aller récupérer des réfugiés en Méditerranée. Sa première escale, à Marseille, a été organisée par la Mission de la Mer. La population marseillaise avait été prévenue par voie de presse. Le bouche à oreille a tellement bien fonctionné qu’il y avait foule au départ du bateau. Dans cette foule, chacun se souvenait que l’un de ses ancêtres était arrivé par mer… L’initiative est venue de la maire de Lampedusa, qui en avait marre de lancer des appels aux gouvernements européens, et qui, en désespoir de cause, s’est adressée à ce commandant.
Second tour de table : ce qui ressort.
J’ai retenu une seule phrase : « On a tous en commun un fond d’humanité ». Je pense que c’est le fond de la solution à nos problèmes.
J’ai bien aimé ce qui a été dit : dans ma relation à l’autre, je commence par regarder ce qu’on a en commun. Et aussi que les gens racistes sont des gens rassis…
Je crois que la notion d’étranger est une affaire d’adulte. Les enfants n’ont pas la barrière de la langue, et n’ont aucun a priori. Ils jouent spontanément ensemble, au-delà de toute différence. En entrant dans un système social compliqué qu’on appelle une société, on fabrique des filtres qui font advenir la notion d’étranger. Si on ne retrouve pas une âme d’enfant, on n’en sortira pas.
N’oublions pas que nous sommes les étrangers lorsque nous sommes à l’étranger.
La façon dont nous vivons aujourd’hui, où les communications et les déplacements sont à l’échelle de la planète, fait qu’on parle de l’étranger en pensant à des distance géographiques, alors que, il y a 60 ans, l’étranger, c’était l’habitant du village d’à côté.
La petite bourbonnaise a épousé un étranger : il est auvergnat.