BRETAGNE

L’ÉTRANGER ET MOI

Interpénétration des cultures comme chemin de fraternité et de joie.

 

Plérin, 24 janvier 2016

 

9 présents

 

Au Brésil, j’ai eu beaucoup de contacts avec des étrangers, des amitiés se sont nouées. Au Surinam et au Soudan, plus de difficultés à accepter les cultures. Vu la différence entre les Sud-américains, les Africains et les Américains. J’ai travaillé dans une coopérative agricole au Brésil (beaucoup de volontaires allemands). Le projet : construire des écoles… Conflits car visions différentes des choses. Les Allemands sont très cartésiens, poids de l’administration… Ils ne veulent pas accepter la culture des Brésiliens.

J’étais directrice d’éducation et les instituteurs allemands voulaient travailler à leur façon, ne pas suivre les directives. Ils étaient invités chez des agriculteurs, par exemple, et voulaient refuser… Or, refuser l’invitation au Brésil, c’est faire un affront… J’étais mal à l’aise sans savoir comment faire…

Au Soudan, difficile aussi car il y a des musulmans, des chrétiens… Dans le monde des ONG aussi coexistent toutes sortes de nationalités… Avec des crispations… Certains ont besoin de « montrer leurs rangs », ils ont des serviteurs…

 

Je crois qu’il faut d’abord étudier la culture d’un pays pour voir comment se comporter en fonction de sa nationalité, de sa classe d’âge, comment communiquer de façon directe, comment refuser les conflits. Quand j’étais dans un pays étranger, je devais avoir le bon comportement pour ne pas être persona non grata. Mon mari a eu des problèmes au Soudan car les Soudanais ne sont pas simples… mentalités différentes, différences de cultures. Argumenter dans une autre langue que la sienne, c’est difficile… Accepter certaines choses pour être, soi-même, accepté… C’est illusoire de vouloir tout résoudre et de vouloir changer les choses quand on est dans une carrière de mobilité… difficile de connaître la culture de l’autre… la culture c’est interne… Nos évidences, nos références ne sont pas celles des autres. Le chemin de la fraternité et de la paix comprend les différentes cultures et essaie de les interpréter selon nos possibilités. Combien de malentendus quand on veut imposer sa façon d’être.

 

Moi, dans mon travail, j’étais « l’étranger ». J’ai navigué avec des Polonais, des Philippins, des Pakistanais… Au Japon, il y a eu des campagnes anti étrangers… Il y avait des contrôles d’identité, mais avec des égards… À l’arrivée dans les ports, le service de l’immigration venait et posait toutes sortes de questions. À bord, on vivait dans un endroit clos. Les relations ont été bonnes dans l’ensemble. Quand je naviguais avec des Indiens, c’était des personnes de famille aisée avec une certaine culture.

En Afrique ou aux Philippines, j’ai été surpris de l’intelligence de ces peuples. Les gens riaient, plaisantaient. Interpénétration des cuisines aussi. Pendant 8 ans, j’ai mangé « indien » et « philippin »… Différences des cultures religieuses aussi… je ne regrette pas d’avoir fait ces rencontres. Mon regret : avoir coupé les ponts, ne pas avoir gardé de contact… Chez les étrangers que j’ai côtoyés, j’ai senti l’importance de la famille. Aujourd’hui, chez nos propres enfants, l’étranger ne pose pas de problème. Ils ont des relations avec des étrangers.

 

Quand j’avais 18 ans, des Guadeloupéens sont venus en vacances. Ils vivaient en tribu, la grand-mère et l’oncle dirigeaient tout… Après, je me suis retrouvée à Paris, chez eux, (la seule Blanche) : ce fut une belle expérience… tradition de famille que je ne connaissais pas… À Plougastel-Daoulas, j’ai fait l’expérience d’être « l’étrangère »… se faire accepter quand on vient d’ailleurs… On ne va pas chez les autres pour leur faire la leçon… il faut écouter, respecter les traditions des autres… en Bretagne, le Goëlo n’est pas le Trégor. Autre expérience : vie de 3 ans au Congo. J’ai vécu avec des sœurs africaines. J’ai appris beaucoup de choses avec elles en faisant le jardin. Importance d’aller chercher de l’eau à la fontaine, occasions de parler… Le fait de marcher : occasions de rencontres. Les deuils : expériences qui heurtent… On a trop fait en « imposant les choses ». Vivre avec des sœurs africaines… difficile… chacun son rythme…

Quand on est à l’étranger, on doit souvent prendre sur soi, ne pas dire… Mais, il y a la qualité de l’accueil… Ils n’ont pas, mais ils partagent… Le danger, c’est la tradition, ce ne sont pas seulement les mots, c’est aussi la façon de dire… la connaissance est interne. Aujourd’hui, on a des religieuses africaines, on ne se comprend pas toujours… Dans la colonisation, le tort a été souvent d’arriver en conquérant… Maintenant, je suis à Brest. Je vois des marins. Ils nous parlent de leurs familles, ils expliquent leurs traditions. On apprend beaucoup de choses, mais c’est dans un cadre spécial, on ne vit pas avec eux. Ils sont très fraternels. Important de s’intéresser à la vie des autres. Rencontrer des étrangers c’est ouvrir des horizons… Vivre avec des étrangers dans une maison et les côtoyer, c’est bien différent.

 

Je n’ai pas côtoyé beaucoup d’étrangers dans ma carrière, sauf, un mois, 3 chauffeurs arabes… Ce matin, à la télévision, il y avait une émission œcuménique… Je trouve que c’est bien, cela ne peut que nous rapprocher, mais on ne fait pas souvent d’efforts en ce sens. En 1994, on avait accueilli à la maison des Burundais, une maman et ses 3 enfants. Il me serait difficile de les accueillir en permanence et vice versa… Concilier plusieurs cultures, c’est difficile… le temps n’est pas le même… L’étranger c’est aussi notre voisin. Quelquefois, le voisin peut être un étranger. On se connaît de moins en moins.

J’ai été étrangère pendant un an en Israël. Dans la maison, il y avait des étrangers (différentes nationalités). Les Filles de la Charité étaient accueillantes, leur porte était toujours ouverte. Les enfants étaient juifs ou arabes. Les salariés : juifs ou palestiniens. C’était une Communauté… Être étranger, je ne l’ai pas senti…

Mon frère vit en Turquie. Quand j'y vais, je rencontre des étrangers. Mes 6 années au Secours Catholique m’ont fait découvrir qu’on appartient à la même humanité, quelle que soit notre origine. Les migrants qu’on rencontre n’ont pas choisi de partir. Essayer de vivre l’accueil inconditionnel. J’ai changé mon regard sur les migrants. Ils ne peuvent pas aller n’importe où (pas de papiers)… Aujourd’hui, il y a pourtant beaucoup de déplacements nécessaires, ils doivent aller sur Paris. Pas de papier, pas le droit de travailler… Mathieu 25 « J’étais étranger… » On entre dans l’année de la Miséricorde. Individuellement, on peut faire plein de gestes envers l’autre, mais il ne faut pas rester seuls. Pour arriver à dire que la différence est une richesse, il y a beaucoup d’étapes à franchir… Je dois convertir mon cœur et mon regard pour avancer dans l’accueil de la personne étrangère.

 

Dans l’enfance, l’étrangeté m’intéressait. L’Asie me captivait (je me déguisais en asiatique). Depuis 40 ans, des Luxembourgeoises sont passées à la maison, une étudiante de l’Indiana (toujours fidèles), une femme de père algérien, mariée à un Africain… Ensuite, dans le cadre du jumelage, 2 musiciens polonais… 2 enfants roumaines, une Bavaroise… 2 Allemandes… Puis l’accueil des Burundais à la maison… Pas évident. Tant qu’il y a eu des rencontres courtes, c’était facile… dans le quotidien… C’est leur cadence qui s’impose… on s’aperçoit qu’on est en Afrique, chez soi…

Nos voisins peuvent être étrangers. Quand on est arrivés dans notre quartier, on a été mis à part. On était très observés… des « pièces rapportées »… J’ai fait beaucoup de pays avec mon mari. On a reçu un couple de Malgaches, des Camerounais…

 

Le seul endroit où je côtoie des étrangers : le Secours Catholique (lors de nos visites et de nos rencontres dans le groupe dont je fais partie), mais j’ai peu d’expériences par ailleurs. À la Caisse d’Épargne de Binic où je travaille, il n’y a pas un seul client étranger. J’ai très peu d’amis étrangers, pas parce que je n’en veux pas, mais parce que je n’ai pas l’occasion d’en rencontrer. Je connais des amies qui se sont mariées avec des étrangers, des Africains, essentiellement, mais l’expérience a été, généralement, un échec et je me dis que ce n’est pas évident sûrement de vivre avec quelqu’un qui n’a pas la même culture, pour qui la famille est la priorité et la famille restée au pays.

On ne se marie pas seulement avec une personne, mais avec toute sa famille à qui il faut envoyer de l’argent… Je suis admirative, par contre, de la joie qui émane de ces personnes (les Africains). Il y a un jeune sénégalais bénévole au Secours Catholique et qui vient dans notre équipe. Il n’a pas de papier, pas de travail, il est dans la « galère »… et il sourit tout le temps… Je trouve cela impressionnant !! J’ai tissé des liens avec un prêtre du Congo… Je pense que la culture dans laquelle on a été élevés nous conditionne beaucoup et que c’est parfois très dur de se rejoindre et de se comprendre. En 2015, il n’y a jamais eu autant d’actes anti Islam, anti Juif… et je me dis que tout cela est en grande partie dû à une grande ignorance de l’autre. C’est là sûrement notre principale responsabilité, nous informer, essayer de comprendre, de connaître, de nous faire notre propre opinion et de ne pas céder aux idées toutes faites.