LÂCHER-PRISE

CUISINE ET CONVIVIALTÉ

Îles de Lérins, 21 et 22 mai 2011

 

11 participants (groupes d’Aix et Nice)

 

Lâcher-prise

 Le seul exemple qui me vient à l’esprit s’est produit lors d’un accident de montagne inattendu : j’ai essayé de m’accrocher à des branches puis j’ai glissé à grande vitesse au risque de rentrer dans les sapins. Finalement, je n’ai rien fait et me suis laissé glisser pendant 12 à 15 secondes avant de perdre connaissance. J’ai eu la sensation pendant 4 à 5 secondes de me laisser aller en ayant conscience de la gravité du risque : inch Allah !

 Lors d’un tonneau de 200 m en voiture dans un ravin, pendant une seconde, j’ai revu ma vie et me suis demandée : « Ai-je bien rempli ma vie ? ». J’ai été la seule des 4 à ne rien avoir eu ! Je crois que je vais de mieux en mieux et que je lâche prise : ici et maintenant ; la recette, être dans le moment présent, vivre intensément le présent.

 Il ne faut pas lâcher prise : c’est dangereux ! J’ai toujours vécu avec ce principe. J’aurais dû quelquefois lâcher prise ; par exemple, ma première année d’enseignement a été épouvantable : les élèves et moi, nous ne nous comprenions pas et je me forçais. Idem pour une amie qui va atterrir dans un lycée abominable : il faudrait qu’elle lâche prise !

 Pour lâcher prise, il faut avoir une prise : une motivation, un moteur interne ; c’est donc un acte qui marque une rupture. Un exemple, au tennis, j’avais un beau style, mais une efficacité nulle en tournoi, mais je m’accrochais en match. J’ai perdu 3-0 alors que je pensais pouvoir gagner : j’ai arrêté la compétition puis le tennis. Le 2e cas concerne ma volonté d’arrêter ma vie professionnelle. Après un engagement très fort pour un objectif stratégique pour la société, mais sans retour de l’entreprise, j’ai lâché prise sur cet engagement stratégique et sur mon ambition professionnelle.

 Pour moi, c’est le non lâcher prise : j’ai besoin de contrôle, de savoir, de m’accrocher à tout. Quand je suis complètement débordé, je suis obligé de lâcher prise, mais j’ai du mal. Pour les vacances de l’été dernier, j’ai réservé les hôtels sauf les 2 dernières nuits et on a fini par dormir dans la voiture et c’est un très bon souvenir. En pêche sous-marine, l’apnée nécessite un lâcher prise et j’ai vécu cet état de détente profonde exceptionnellement. Au yoga, je mets beaucoup de temps à lâcher le mental.

 J’ai un tempérament à lâcher prise, à laisser venir ce qui doit venir, à ne pas prévoir. Depuis quelque temps, je me mets à l’écoute de ce qui se présente et je trouve ça très puissant. Lâcher prise est une voie essentielle pour savourer la vie. Quand notre fils était ado et qu’on était désemparé, qu’on ne savait pas l’orienter, on a lâché prise en lui ouvrant des voies comme cuisinier… et on l’a laissé choisir.

 Je vis 2 sortes de lâcher prise :

Un au niveau émotionnel sur les sujets de la vie et de la mort. Enceinte du 1er enfant, on est centré sur cet enfant et plus rien ne compte. J’aurais fait 10 enfants pour être dans cet état. Lors du problème de santé grave de notre fille, j’ai vécu un lâcher prise sur tout le reste ; je me contentais de vivre tous les moments : c’est peut-être ça l’expérience de vivre ici et maintenant. Cela vient de l’intérieur, ce n’est pas mental.

J’ai raté un concours des profs des écoles et chaque année je le repasse ; c’est douloureux et pourtant c’est impossible de lâcher même s’il ne me servirait plus à rien. C’est un enjeu très profond en soi, la reconnaissance de l’institution.

 J’ai l’impression de ne jamais lâcher prise. Lors de marathons très difficiles, pourtant, je vais au bout. Dans le travail, je n’arrive pas à tout contrôler, mais je pense qu’il s’agit plus d’une notion de délégation que de lâcher prise. Je pense parfois que le lâcher prise pourrait être reposant, mais j’ai beaucoup de travail.

 Lâcher prise ne me parle pas beaucoup. Quand je travaillais et étais très fatigué, les quelques fois où j’avais l’impression que le patient pilotait la consultation me gênaient ; j’avais le sentiment de ne pas maîtriser la situation et ça n’était pas satisfaisant. À la retraite, laisser venir ce qui vient me semble être plus du laisser aller et je trouve cela plutôt ennuyeux donc je me reprends en main car je préfère être dans les contraintes.

 Le lâcher prise me plaît beaucoup ; dans mon travail, je suis obligée de maîtriser tout ce que je fais ; le lâcher prise est un luxe. Au cours d’une opération, lorsque l’anesthésiste est arrivé, j’ai imaginé toutes les situations dont les plus graves puis j’ai lâché prise. Avec des amis très proches, il m’arrive de me laisser aller à dire ce qui me vient. Faire fi des codes, règles et se laisser aller à ses émotions, c’est dire les choses sans penser, c’est être vrai, une forme de sincérité. La prière est également un moment où toutes les autres choses glissent ; il s’agit toujours d’une expérience positive. Il faut de la confiance et l’impression est viscérale.

 Pendant  une réunion impressionnante, le grand chef me posait des tas de questions et me stressais énormément jusqu’au moment où je lui ai dis « vous m’impressionnez » et alors la situation s’est renversée et la réunion s’est très bien déroulée.

 Cuisine et convivialité

 Cela m’évoque un moment de partage toujours agréable. Il m’est également agréable de préparer le repas. Mon fils aime faire les courses avec moi et prépare des recettes donc la cuisine représente un moment de convivialité avec mon fils. D’autres moments sympathiques sont partagés au cours d’un repas au restaurant avec une amie pour discuter.

 J’aborde ce thème sous l’angle du souvenir. La première fois que ma mère a fait le pâté en croûte que ma grand-mère faisait, cela m’a fait revenir le souvenir de ma grand-mère et de nombreux événements corrélés. La charcuterie corse est la même depuis 30 ans et le souvenir du même goût me transporte dans mon enfance. Je récolte les recettes de cuisine auprès de mes tantes… avant qu’elles s’en aillent définitivement.

 Quand on est né dans une autre culture, cela est complètement différent. Chez moi, on mange pour survivre. Par exemple, la cuisine allemande est lourde pour donner des forces, de même dans les pays scandinaves. Il faut imaginer ne pas avoir grand choix (pommes de terre, œufs seulement). Un magasin de bonbons pour enfants n’est pas normal car c’est du « surplus ». Nous sommes ensemble pour des moments importants, mais pas forcément autour d’un repas. Les Nordiques découvrent  la cuisine, mais ça peut être supprimé car superflu (le film « Le destin de Babeth »).

 Le thème m’inspire les Noces de Cana. Le Christ y a fait sa première intervention, son premier miracle. Le partage autour d’une table avec des amis. Quand je m’occupais des bidonvilles, il fallait d’abord leur donner du pain. Étant jeune, ma famille n’avait pas d’argent pour acheter du lait et un ami nous en a donné. Depuis, je me suis évertuée à avoir de l’argent pour ne plus jamais avoir faim.

 J’ai toujours peur de manquer de nourriture. J’aime faire la cuisine pour des amis ou la famille. Je pense que c’est une forme de don de soi, de son temps par rapport au temps éphémère pour le manger. J’ai parfois l’impression de faire la cuisine par amour. Certaines recettes, héritées de ma grand-mère, me génèrent des flashs du passé lorsque je les refais. À la cantine au travail, cela donne également l’occasion de partager avec ses collègues et de mieux se connaître.

 Pendant sa grossesse, ma mère est restée alitée et je suis né maigrelet, mais j’ai de suite trouvé le mode d’emploi du biberon ! Petit, j’ai été nourri à la sole par ma grand-mère et j’ai souvenir d’avoir choisi le menu de ma communion avec langouste et poulet aux morilles. Quand je ne vais pas très bien, je cherche de la nourriture pour me remplir. J’aime recevoir des amis en leur préparant un bon repas éventuellement en partageant la préparation avec ma fille ce qui m’oblige à être alors plus tolérant. Pour mes 40 ans, une paella m’a pris 2 jours de préparation : c’était toute une cérémonie. J’ai un côté perfectionniste et mets la barre un peu haute parfois. Bref, je vis intensément la nourriture.

 Petit, j’aimais bien les repas en famille qui finissaient par des parties de cartes autour d’un feu de cheminée. Maintenant, je préfère être dehors donc je n’apprécie plus guère les repas longs en famille le midi. Le prétexte pour se réunir peut-être autour d’une légère collation et pas forcément d’un repas. Je suis plus attaché aux gens qu’à la nourriture. Dans les Pyrénées, alors que nous allions de gîte en gîte, j’ai un souvenir ému d’une paella.

 En Suède, le rapport à la nourriture est plus essentiel. « Tack for maten » (merci pour la nourriture) se dit à la fin d’un repas. Pour moi, cuisine et convivialité sont essentiels et une base des réunions Pingouins d’Aix. La nourriture a un rapport avec la mère et j’ai un rapport un peu pathologique car je dois beaucoup manger. Convivialité dans la préparation : pas vraiment car c’est moi qui fais la cuisine, mais je ne partage pas. Je suis capable de participer, mais je ne partage pas la responsabilité. Côté négatif, je ne supporte pas les interdits religieux dans la cuisine ; c’est une manière d’exclure les gens.

 Cuisine et convivialité, ça ne me parle pas beaucoup car je ne participe pas. Manger et convivialité : oui ! Je suis davantage « câblé » communion que convivialité ; communier, c’est partager quelque chose, une activité, un effort. Je hais les banquets et j’ai des souvenirs barbants étant jeune. Ma mère faisait bien la cuisine ; un jour, elle nous a demandé : « Était-ce excellent ou seulement bon ? » !!! Dans le travail, le repas permet d’alléger l’ambiance quand on s’est bien battu pendant toute la matinée.