Quelle trace laisserai-je ?

Aix-en-Provence le 14 février 2011

13 participants

 

- Quelle place laisserai-je? Réponse : AUCUNE. Encore moins qu'un escargot... C'est aussi l'opinion de Victor Hugo, qui a eu des funérailles nationales et a quand même laissé des traces. (Le plus grand poète français, hélas ! a dit A. Gide). Voici le témoignage de Victor Hugo :

 Le soleil s'est couché ce soir dans les nuées.

Demain viendra l'orage, et le soir, et le nuit ;

Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;

Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit !

 

Tous ces jours passeront ; ils passeront en foule

Sur la face des mers, sur la face des monts,

Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roulent

Comme un hymne confus des morts que nous aimons.

 

Et la face des eaux, et le front des montagnes,

Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts

S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnes

Prendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers.

 

Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tête,

Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux,

Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête,

Sans que rien ne manque au monde immense et radieux !

 

- Un certain jour, mon fils me dit : « Maman, nous ne savons rien de toi ! ». Je lui ai donc parlé de moi, de ma grand-mère aînée de 13 enfants, de mes amours, de ma jeunesse y compris quelques détails croustillants. J’ai vu naître son rire, son sourire. S’il doit s’en souvenir et sourire à la vie, eh bien j’aurai fait quelque chose ! On ne peut pas vivre sans amour.

 - Je pense laisser une trace sur une à deux générations comme d’autres m’en ont laissé une (mon père, mon grand-père, une collègue de travail décédée très jeune qui m’a laissé en souvenir son sourire et sa gentillesse…). Nous faisons tous partie de l’humanité et en liaison plus ou moins consciente les uns avec les autres.

 - Je garde la trace de mes êtres chers : Papa, Maman, mon grand-père, ma grand-mère. Dernièrement, Maman nous avait donné comme consigne de mettre ses lettres d’amour échangées avec Papa, dans le caveau. Le ferons-nous ? Nous les avons lues en famille et, en particulier, celles qui ont entouré ma naissance ont été des témoignages d’amour très importants pour moi : ce sont des traces très fortes. Je ne cherche pas spécialement à laisser de trace, mais l’échange actuel avec mon fils est très fort et je pense que ce souvenir ne sera pas trop négatif.

 - « Ce qui compte dans la vie, c’est la trace qu’il laisse dans le cœur des autres » dixit Saint-Exupéry. Je suis mal placé et je ne peux pas témoigner à l’exception d’un collègue qui, à travers ses mémoires, a déclaré qu’il a découvert, à travers moi à Kerguelen, qu’il pouvait faire confiance. Les traces que les autres m’ont laissées : la douceur de ma mère Clémence, la droiture et le talent d’éducateur de mon père, la clairvoyance des enseignants qui m’ont mis en confiance et m’ont fait prendre des voies que j’ignorais, la diversité humaine au contact de Jean Volot durant mes 14 mois de vie qui m’ont énormément marqués.

 - Sur le triptyque du « Buisson  Ardent », l’escargot est un symbole de la Résurrection. Il laisse une trace avec l’eau. Il est très prétentieux de dire qu’on va laisser des traces. Par contre, voici quelques exemples de celles qui m’ont été transmises : les tranches de vie et le tempérament de mon arrière grand-mère Juliette, les dessins de ma grand-mère ainsi que ses truffes, galettes et le souvenir de sa maison accueillante. J’espère que je laisserai ce type de trace, mais je n’en ai pas de preuve jusqu’à présent.

 - Moi adolescent, j’aurais trouvé les Pingouins sans intérêt alors que mes filles s’y intéressent. Nos  filles disent du bien de nous par derrière. Au boulot, je ne pense pas laisser de trace. Par contre, dans le bénévolat à l’aéroclub, j’ai l’impression d’y laisser quelque chose ; peut-être est-ce lié au bénévolat sans contrepartie ?

 - La trace que je laisserai est sûrement déjà faite. J’ai recueilli le témoignage de femmes pour qui les performances sexuelles de leur mari décédé étaient importantes : il s’agissait davantage de ressenti de l’autre plus que de la personne concernée ! Dans le domaine professionnel, je ne pense pas laisser de trace. Au niveau des proches, probablement la trace d’un humour féroce, du mec qui fait le professeur, du bricoleur qui se sera bien amusé avec ses voitures… Pas forcément des traces de grande spiritualité. Les souvenirs qui tiennent à cœur de ceux qui restent sont souvent anecdotiques.

 - Ma première réflexion : c’est prétentieux ! Difficile de mesurer ce que je laisserai à mes enfants. Un exemple : le refrain de ma chanson « Cheval de bois » que je chantais lors des fêtes de famille. Pour les 60 ans de mon frère, mes neveux et enfants ont fait le spectacle de Cheval de bois : quelle trace ! Puis mes petits-enfants l’ont fait également. Certaines choses nous échappent ! Au niveau catéchèse, j’ai eu un retour positif par rapport à l’ambiance et le travail accompli. En vieillissant, j’ai éprouvé le besoin de connaître l’histoire de ma famille (parents, grands-parents) et j’ai eu l’impression de tomber sur un trésor en découvrant des lettres, des cartes postales de mon grand-père datant de la guerre de 14 : mon grand-père a pris chair alors que je n’en avais qu’une image ne l’ayant jamais connu. Tout ceci constitue une trace ; on découvre sa famille, ils prennent chair.

 - Chaque rencontre amicale, humaine n’est pas innocente et laisse des traces. Mes amis de Manosque m’ont laissé une trace indélébile. J’ai dû laisser de grandes déceptions chez mes parents et ma famille en général par rapport aux ambitions qu’ils portaient sur moi ; une blessure sûrement non refermée. Dans mon métier, j’ai fait découvrir la plongée à des milliers de personnes et je crois que certains en garderont une trace. Je pense avoir apporté de la joie, du plaisir et même du bonheur à certains. Un copain que j’ai aidé à sortir de son milieu « le quart monde » témoigne ; il est devenu pilote de ligne. Il y a échange de spiritualité entre nous : du judaïsme au christianisme et vice versa.

 - Quand je réfléchis, je ne pense qu’à des choses positives, en particulier, concernant des élèves pour qui j’ai beaucoup compté dans les quartiers Nord. Je pense à cette situation dans un lycée sensible où une bande m’a interpellée « Qui c’est celle-là ? » et une de mes anciennes élèves a répondu « C’est ma mère ! » : sacré témoignage, bien sûr, je suis sa mère au collège seulement. Un autre élève de la DDASS que j’ai eu en classe m’a témoigné à quel point j’avais été importante pour lui alors que je n’en avais pas du tout eu l’impression. Avec mes enfants, un clash a eu lieu avec ma fille aînée : « Avec les valeurs que tu m’as données, je ne peux pas être commerciale ! ». Elle s’est réorientée et je crois qu’effectivement on laisse des valeurs.

 - En tant que médecin, le plus dur a été de me séparer  de mes patients. Mon ambition était d’être technique et positivement attentif aux autres : difficile à évaluer. Les vrais exploits ont été rarement reconnus alors que d’autres n’étaient pas si difficiles à réaliser. Dans la technique, je souhaitais que mes patients participent à la définition de leur traitement : j’ai l’impression que ça a marché car j’ai pu le constater à travers le choix des médecins qui m’ont remplacé. La question du jour n’est pas facile à répondre : j’ai laissé un bon souvenir, mais pas forcément de grandes traces.

 - Professionnellement, on est vite remplacé puis oublié. J’espère laisser des traces auprès de ceux que j’aime à l’instar des souvenirs de mes grands-parents : traces d’amour, de tendresse auprès de mes enfants et petits-enfants.