L’ÉTRANGER ?
Aix-en-Provence, 10 janvier 2008
13 présents
- Du point de vue étymologique, étranger vient de "extra nearius", celui qui vient de l'extérieur, celui qui est indifférent à quelque chose, celui qui n'est pas partie prenante.
On devrait faire comme les Anglais, stranger versus foreigner, et utiliser le terme d'expatrié. Je ne me sens pas en France chez moi, pas le droit de voter à Tahiti. Même la boulangère du coin, si elle en avait la possibilité, m'empêcherait de voter parce que je ne suis pas une locale. Quel contraste avec des bûcherons russes qui nous avaient invités à trinquer avec eux, dès 9h du matin, à la vodka !
- J'ai rarement vécu à l'étranger. En Irlande, il y avait de beaux paysages. J’aurais voulu voir comment vivent les gens. Mais quand on fait du tourisme, c’est difficile d’aller chez les gens. En Ecosse, un jour, un monsieur nous a invités à partager une soirée : ça change tout. À Tahiti, j'ai été très touché d'être invité à faire de la pirogue avec des locaux.
Au Maroc, il y a de gros contrastes entre ville et campagne. Quelle joie de vivre alors qu'ils n'ont rien du tout. Comme les moines. Alors que c'est sale en ville et que leur modèle est l'Occident. Ma crainte est qu'un jour, il n'y ait plus d'étranger.
- J'ai beaucoup de plaisir à voyager. C'est bien de connaître les subtilités du pays où l'on va. En Italie, on paie puis on boit. En Allemagne, on traverse dans les clous, au Canada, on sourit en croisant un regard. Pour les étrangers, tout est question de proportion, je trouve insupportable d'être envahi. Les femmes voilées sont autant d'injures que l'on nous fait.
Ces différences sont insupportables quand on se sent nargués. Je deviens anti-religieux (monothéiste).
- J'ai appris que du côté maternel, nous avions des racines napolitaines ; ma grand-mère est née en Argentine, mon père vivait à Abidjan, donc partir ne me posait pas de problème. Mais en Afrique, je ne supporte pas l'odeur des noirs, ça crée une distance. Mon père m'a proposé un boulot au ministère que j'ai refusé. Je suis allée trois mois en Alabama, c'est le dépaysement malgré l'accueil : il n'y a pas de culture, pas de centre-ville, ça me manquait. Depuis deux ans, je bosse avec des Sud-coréens, la langue est différente, ils sont directs, brutaux et portés sur la bouteille... Pour les Allemands, ça dépend, ils sont hermétiques ou joviaux.
- Je n'ai que peu de contacts avec des étrangers. Au début de ma vie professionnelle avec mon père, un comptable m’a proposé l'aide d'un de ses amis, en précisant, gêné, qu'il était noir. Je n'en suis pas revenu, c'était choquant. En Afrique, pour le boulot toujours, le bon et le mauvais se partageaient dans les deux camps, manque de respect contre pillage du savoir. Le problème chez nous n'est pas le racisme des Français, mais l'agressivité de certaines communautés de culture musulmane. L'étranger, oui, mais s'il ne m'agresse pas et me respecte pour ce que je suis.
- Dans mon pays, j'ai découvert un vrai black, vers 4-5 ans, très sympa. Dans les années 40, il y avait des types qui faisaient du bruit avec leur bouche, c'étaient des occupants autrichiens.
Vers 20 ans en Yougoslavie, j'étais dans un camp international, j'avais toujours faim à cause de la nourriture à base de poivrons et de pastèques. Les filles yougoslaves ne supportaient pas qu'on leur mette une main au sein. En 65, j'ai eu d’excellents contacts avec des Réunionnais (cf. la chanson "sans chemise sans pantalon").
En Polynésie, il n'y avait pas de problème de langue, mais de traditions : quand on pose quelque chose sur la table (sèches, bière...) elle devient communautaire. Un couple vivait ensemble depuis longtemps, ils se sont mariés pour remercier Dieu, une célébration de reconnaissance. Là-bas, l'enfant était roi et appartenait à tout le monde.
Chez moi, je ne supporte pas qu'un étranger cultive sa différence, burka, voile, boubou...
Les asiatiques sont différents, ils sortent leurs tenues traditionnelles que pour leurs fêtes, je trouve ça super.
- J'aime aller à l'étranger pour découvrir de nouveaux comportements, une autre cuisine. J'emporte toujours mon Berlitz, on est mieux accueilli en parlant la langue locale. Je me retrouve chez moi quand je rentre faire mes courses. En revanche, l'Asiatique m'est imperméable, nous ne sommes jamais allés en Asie. J'ai peur de ne pas arriver à comprendre, de me tromper ; le terme "conflit" n'existe pas en chinois.
Nous avons passé un an et demi en Guyane. Avec mon physique, je passe pour une locale. Je ressemble à ma grand-mère sarrasino provençale.
- Quand j'ai eu 18 ans, j'avais un permis de conduire tout frais. Un copain a été renversé par une voiture et j'ai conduit sa mère super catho (modèle idéal) à l'hôpital. En voyant que le chirurgien était noir, elle a émis des doutes sur sa capacité à opérer. J’ai été choqué. Je manque d'envie de me rapprocher de l'étranger et pourtant quand j'avais 10 ans, mon meilleur ami était vietnamien. J'apprécie les asiatiques, je les considère supérieurs à nous. J'aime l'étranger quand il s'intéresse à mon pays, quand il ne montre pas sa différence. J'apprécie plus un Allemand francophile que germanisant. Quand on est à l'étranger, je respecte l'autochtone car il est chez lui.
- J'ai épousé une Suédoise, donc mon opinion est subjective. Elle n'est pas étrangère, mais très proche. Ce n'est pas étonnant qu'elle m'ait séduit. Cavaillon est un petit pays, l'étrangère représentait la sécurité, ça me rassurait. Il y a des choses qui ne me plaisent pas chez moi, elle pouvait me changer. (Rapports un peu lourds chez les Italos provençaux !)
Sur le tard, j'ai découvert mon racisme envers les Arabos musulmans ; il y a des choses qui ne me plaisent pas, ce n'est pas une question de gènes ou de races, mais la viande hallal me provoque des éruptions cutanées.
- Lorsque j'ai passé mon bac en 62, on avait à lire l'Étranger. Mon archétype était le Français ! L’étranger ne pourra jamais devenir français, il est mystérieux. Pour moi, cela fait des différences de culture. Je me dis qu'un africain qui veut venir en Europe pour le travail, l'argent, ne s'imagine pas la vie qu'il va mener, c'est difficile de s'adapter.
Au Japon, on a une impression de similitude, mais c'est une illusion, nous sommes très différents. Peut-on vraiment vivre ensemble?
- On a la chance de vivre en paix, pas comme en 1942.
Je ne juge pas les gens en fonction de leur couleur ou de leur identité, mais plutôt en fonction de leur rapport à l'intelligence. Je ne me sens pas plus proche de mon voisin que du patient maghrébin. Ça dépend de ma frontière, en moi, proche, loin...
Je vis avec une étrangère (ma femme), d'une étrangeté la plus totale. Quand quelque chose me surprend, c'est ce qui n'est pas moi.
- ll y a étrange dans étranger. Quand j'étais gamin, je voulais partir à l'étranger, voir du nouveau. Il y avait des jeunes filles au pair à la maison pour aider maman avec ses 7 enfants. On avait découvert la fête de la lumière avec une jeune fille suédoise. Ensuite, mes frères et sœurs se sont mariés et il a fallu intégrer les pièces rapportées (ou les valeurs ajoutées, ça dépend!) Je vis dans une station de ski où nous accueillons les étrangers à la messe. Il faut toujours composer, ne jamais céder à la routine.
- Pour moi, l'étranger, c'est ce qui m'est étrange, ce que j'ai du mal à comprendre. Quand j'étais petite, j'ai découvert les noirs, puis les Algériens. J'ai dû lutter contre un sentiment de supériorité car ils n'étaient pas comme nous. L'éducation m'a servi pour comprendre.
Quand nous sommes arrivés à Aix, les enfants arboraient des badges "touche-pas-à-mon-pote" en forme de mains. Ils se sont fait agresser sur le chemin de l'école. C'est facile de ne pas être raciste quand on vit dans un milieu protégé. Dans certains quartiers, les cultures, les genres, les odeurs me sont étrangers.
Nous sommes grands-parents d'une petite-fille dont la mère est d’origine maghrébine. Alors, pour ne pas trahir la confiance de ses parents, je ne cuisine pas de porc et sans alcool, je me mets à la viande hallal. Mais ça me demande un effort.
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